Police du cinéma. Du Code Hays à la CARA

L’histoire normative de la police du cinéma aux États-Unis est réductible à trois périodes. La première période va de la naissance du cinéma aux années 1920. Cette période a vu prospérer de nombreuses réglementations fédérales et étatiques influencées par des groupements affinitaires religieux et vouées à conjurer « l’immoralité » éventuelle des films proposés au public. La Cour suprême des Etats-Unis ne fut pas indifférente à ces considérations morales même si c’est par une argumentation supposément neutre qu’elle jugea en 1915, dans son arrêt Mutual Film Corp. v. Industrial Commission of Ohio , que la production et l’exploitation cinématographiques n’étaient pas protégées par le Premier Amendement de la Constitution des Etats-Unis (liberté d’expression) : « la projection de films, dit-elle, est un commerce, pur et simple, créé et mené pour le profit... qui ne doit pas être considéré, et n’est pas destiné à être considéré par la Constitution de l’Ohio, (…) comme faisant partie de la presse du pays, ou comme des organes de l’opinion publique... ».

La deuxième période, qui va de 1922 (date de la création de la MPAA) à la fin des années 1960, est celle d’une primo autorégulation professionnelle selon des règles définies par le code de production (Production Code) et appliquées par la Production Code Administration. Cette période est, pour une grande part (1934-1936), celle de la conception et de l’application du célèbre Code Hays. Cette a duré tout le temps qu’il aura fallu à la Cour suprême pour abandonner sa jurisprudence de 1915 et décider en 1952 dans l’arrêt Joseph Burstyn, Inc. v. Wilson, que la faculté donnée par la loi de l’état de New York d’interdire la projection commerciale d’un film qu’il jugeait « sacrilège » constituait une « restriction de la liberté d’expression » et, partant, une violation du Premier Amendement de la Constitution.

La troisième période commence à la fin des années 1960 avec la création d’un nouveau système d’autorégulation professionnelle dont la Classification and Rating Administration (CARA) est aujourd’hui encore l’organe de référence.

Le Code Hays : « puritanisme américain » ou expression d’une peur universelle de la massification de l’image par le cinéma ?

Souvent, les livres et articles français relatifs au Code Hays peuvent ont ces défauts : ils sont enfermés dans la gangue du jugement rétrospectif qui sourd du concept de « censure » ; ils ne puisent pas à des sources originales ; ils sont peu intéressés à voir le contexte normatif qui a rendu possible la discussion puis l’élaboration du Code ; ils sont indifférents à cette question – qui était au nombre des enjeux – de l’extrême étendue du territoire américain et du « droit » des États plus conservateurs à ne pas se voir imposer les codes moraux réputés plus libéraux d’autres Etats. Pour ainsi dire, le Code Hays a été un moment de la discussion sur le fédéralisme, d’où précisément la « menace » d’une intervention législative du Congrès au titre de son pouvoir de réglementation du commerce interétatique (Commerce Clause). Donc le code Hays. Du nom de Will Hays, républicain, très « ordre moral », obsédé par la possibilité que le cinéma promeuve de « mauvais penchants », de « mauvais affects », de « mauvaises mœurs ».

On a beaucoup écrit sur le Code Hays et le « visa de censure » (Purity Seal of Approval) qu’Hollywood s’est ainsi octroyé. On rappelle moins que le code Hays fut un deal entre l’industrie cinématographique et les pouvoirs publics, deal qui évitait à Hollywood l’édiction d’une loi fédérale possiblement plus contraignante (avec les risques de poursuite et de procès induits par l’application d’un texte législatif). On ne précise pas toujours que la peur d’une dépravation des mœurs favorisée par le cinéma ne fut pas un monopole américain et, qu’en France en particulier, la « censure cinématographique » fut d’autant plus serrée qu’elle était le fait de l’Etat et qu’elle ne laissait pas vraiment place à de la « négociation », comme pouvaient se le permettre les studios avec le code Hays. Il arrivait même qu’un studio brave le code, comme ce fut le cas avec Scarface (1932) : après que la Commission Hays a rendu un avis défavorable à la lecture du scénario, le producteur, Howard Hughes, lança à Howard Hawks (le réalisateur) : « Que la Commission Hays aille se faire foutre ! Tournez-moi ce film, et de façon aussi réaliste, aussi saisissante et impressionnante que possible » (A. Balazs, Hollywood, mode d’emploi, Abbeville Press France, 1996, p. 83). Il est encore dit que c’est contre l’avis de la Commission Hays qu’Otto Preminger filma de manière réaliste Frank Sinatra en drogué dans L’Homme au bras d’or. La cinéphilie ne se délecte pas moins des mille et une astuces par lesquelles studios, réalisateurs et producteurs pouvaient contourner le code Hays : – « Mes goûts me portent aussi bien vers les moules que vers les escargots » (Spartacus – échange entre Crassius et Antoninus) ; – la scène finale de La Mort aux trousses où, après que Cary Grant et Eva Marie Saint se sont retrouvés, le film s’achève sur l’image d’un train s’enfonçant dans un tunnel.

Code Hays (« visa de censure » (Purity Seal of Approval)) by Pascal Mbongo on Scribd

La Classification and Rating Administration (CARA)

« La Classification and Rating Administration (CARA) et la Commission d’appel de la CARA, est-il écrit en préambule du code de classification actuel, « ont été établis par la Motion Picture Association of America, Inc. (MPAA) et la National Association of Theatre Owners, Inc. (NATO) comme acteurs d’un système fondé sur le volontariat afin de fournir des informations aux parents pour les aider dans le choix des films susceptibles d’être vus par leurs enfants. La CARA agit en tant qu’institution autonome et indépendante par rapport à la MPAA. La commission de classification de la CARA définit des classifications pour des films de cinéma diffusés et distribués aux États-Unis. La Commission de classification ne détermine pas la nature des images à retenir pour leurs films par des cinéastes, et n’évalue pas non plus la qualité ou la valeur sociale des films. En émettant une évaluation, elle cherche à informer les parents du niveau de certains contenus caractéristiques d’un film (la violence, le sexe, les drogues, le langage, les scènes pour adultes, etc.) et que les parents peuvent considérer comme n’étant pas appropriés pour leurs enfants. Il n’est pas dans la vocation de la CARA de prescrire des valeurs socialement appropriées ou de suggérer telle évolution des valeurs promues par les parents, mais plutôt de refléter les valeurs contemporaines de la majorité des parents, afin de les leur faire connaître et de les informer sincèrement à travers le système de classification. (…) ».

Loin d’être simplement rhétorique, ce préambule témoigne de la rupture, au moins formelle que constitue la Classification and Rating Administration. Cette rupture – on s’en est expliqué dans un long article consacré à la CARA - consiste principalement en une extrême processualisation de la classification des films aux États-Unis dont on fait l’hypothèse qu’elle est pour beaucoup dans l’autolimitation contemporaine de l’État fédéral et des législatures d’État sur la question de la convenance des films et dans le faible nombre de cas litigieux.

Chacun des cinq niveaux de classification (G – PG – PG-13 – R – NC-17) prévus par l’article 2 Section 3 du code de classification de la Classification and Rating Administration (CARA) dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er janvier 2010 est ainsi agrémenté d’observations dans le code de classification, aussi bien en vue de la motivation des classifications par la CARA que de l’information du public :

« G – (General Audiences). Tous publics. Un film classé G ne contient rien qui soit susceptible, aux yeux de la Commission de classification, de contrarier des parents dont les enfants les plus jeunes verraient le film, qu’il s’agisse de son thème, du langage utilisé, de la nudité, du sexe, de la violence ou d’autres thèmes. La classification G n’est pas « un certificat d’approbation », ni ne signifie « film pour enfants ». Quelques bribes de langage peuvent ne pas correspondre à une expression polie mais sans cesser d’être des expressions ordinaires. Les films classés G ne contiennent pas de mots particulièrement forts. Les descriptions de violence sont minimales. Il n’y a ni nudité, ni scènes sexuelles ou utilisation de drogue dans les films classés G.

PG – (Parental Guidance Suggested). Certains aspects ne sont pas appropriés pour des enfants. Un film classé PG devrait être vu par les parents afin que ceux-ci décident de la possibilité pour les enfants de le voir. Pour la Commission de classification, la classification PG signifie que les parents peuvent considérer que certains aspects du film sont peu convenables pour leurs enfants et qu’ils doivent ainsi prendre une décision.

La présence de thèmes mûrs (mature themes) dans certains films classés PG peut justifier une veille parentale. Il peut y avoir du sacrilège, quelques représentations de la violence ou d’une furtive nudité. Toutefois, ces éléments ne sont pas si intenses qu’il faille fortement mettre en garde les parents en allant au-delà de la suggestion d’une veille. Un film classé PG ne contient ainsi aucune représentation de la consommation de la drogue.

PG-13 – (Parents Strongly Cautioned). Certains aspects peuvent être inappropriés pour des enfants âgés de moins de 13 ans.

Une classification PG-13 est une invitation plus comminatoire adressée aux parents à décider si leurs enfants âgées de moins de 13 ans doivent ou non voir le film compte tenu de ce qu’il contient des aspects qui peuvent ne pas leur convenir. Un film classé PG-13 va au-delà de la classification PG mais sans atteindre la classification R compte tenu de son thème, de la violence, de la nudité, de la sensualité, de son langage, des activités adultes ou d’autres éléments. Le thème du film n’aboutira pas en lui-même à une classification plus sévère que PG-13 alors que ses descriptions d’activités liées à un thème mûr peuvent aboutir à une classification limitative.

N’importe quelle utilisation de drogue exigera initialement au moins une classification PG-13. Une nudité non brève exigera au moins une classification PG-13, mais cette nudité ne sera pas à connotation sexuelle dans un film classé PG-13. Il peut y avoir des descriptions de violence dans un film PG-13, mais cette violence ne sera pas cumulativement réaliste et extrême ou persistante. La simple utilisation de mots à forte connotation sexuelle, même sous la forme d’un juron implique initialement une classification PG-13. Au-delà d’un seul usage, la classification R est préférée, surtout lorsque ces jurons sont prononcés dans un contexte sexuel. La Commission peut néanmoins classer un tel film en PG-13 si, par un vote spécial à une majorité de deux-tiers, les évaluateurs estiment que la plupart des parents américains considèreraient qu’une classification PG-13 est appropriée en raison du contexte ou de la manière dont les mots sont utilisés ou parce que l’utilisation de ces mots dans le film de cinéma est imperceptible.

R – Restricted. Les enfants de moins de 17 ans doivent être accompagnés par un parent ou par un tuteur adulte.

Un film classé R, contient un matériau adulte. Un film classé R peut inclure des thèmes adultes, une activité adulte, un langage âpre, une violence intense ou persistante, une nudité à connotation sexuelle, l’abus de drogue ou d’autres éléments pour qu’il soit recommandé aux parents de prendre au sérieux la classification du film. Il n’est pas permis aux enfants âgés de moins de 17 ans de suivre des films classés R sans être accompagnés d’un parent ou d’un tuteur adulte. Les parents sont fortement encouragés à en savoir plus sur les films classés R en vue de décider de leur pertinence pour leurs enfants. De manière générale, il n’est pas indiqué pour des parents d’être accompagnés par leurs plus jeunes enfants à des films classés R.

NC-17 – Interdit aux 17 ans et moins. Un film NC-17 est un film que la plupart des parents considéreraient clairement comme étant trop adulte pour leurs enfants âgés de 17 ans et moins. Aucun enfant ne sera admis. NC-17 ne signifie pas « obscène » ou « pornographique » selon la signification commune ou légale de ces expressions et ne devrait pas être interprété comme un jugement négatif quelque sens que ce soi. Cette classification signale que le contenu du film est uniquement approprié à un public adulte. Une classification NC-17 peut être basée sur la violence, la sexualité, un comportement aberrant, l’abus de drogue ou quelque autre élément que la plupart des parents considéreraient comme étant trop fort pour que le film ne puisse être vu par leurs enfants. »

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Post scriptum. La vie d’Adèle à l’épreuve de la loi de l’Idaho

A sa sortie en 2013, les possibilités de voir le film d’A. Kechiche sur grand écran dans l’Idaho étaient quasi-nulles, bien que le film ne fût assorti aux Etats-Unis que d’une interdiction aux moins de 17 ans (c’est bien 17 ans et non 18 ans comme on l’a lu dans la presse française).

La raison en était l’article 23-614 du code de l’Idaho qui, concurremment à son interdiction aux salles de cinéma de vendre de l’alcool, interdit la représentation réelle ou simulée « d’actes sexuels, de la masturbation, de la sodomie, de la bestialité, de la copulation orale (oral copulation : entendez la fellation) et de la flagellation », ainsi que toute représentation « d’une personne touchée ou caressée sur la poitrine, les fesses, l’anus ou les parties intimes ».

Les services de l’Etat de l’Idaho ont eu beau préciser qu’ils ne s’activeraient pour déclencher des poursuites que s’il y avait une plainte, cette législation a néanmoins un « effet réfrigérant » sur la liberté des propriétaires de salle de projection puisque ceux-ci préfèrent ne prendre aucun risque. D’autant plus que même des films classés « R » sont susceptibles de tomber sous le coup de la loi en question.

Tags : Cinéma - Cinéma américain - Censure - Production Code - Code Hays - Hollywood

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