De la connaissance décentrée du droit américain : l’exemple du fédéralisme

« Les droits américains, ou le principe d’incertitude ». C’est sous ce titre que Marie-France Toinet avait choisi de caractériser le statut socio-politique du droit dans la société américaine (*). Marie-France Toinet n’imputait pas seulement une fonction descriptive à ce principe ; elle en inférait également une critique du « vice procédurier, [du] mépris de la loi votée (…) et de la justice, puisque tout peut être négocié et que l’on peut (presque) impunément ne pas obéir aux décisions judiciaires » (*). Au-delà de cette idée d’un statut « pathologique » du droit aux États-Unis , il n’avait pas échappé à Marie-France Toinet que le plus remarquable était dans l’alchimie très caractéristique entre une forte prégnance des textes législatifs et réglementaires (au niveau fédéral et au niveau fédéré) et une forte prégnance des décisions judiciaires, une alchimie dont elle suggérait qu’elle rendait « peut-être » l’État « plus omniprésent qu’en France » (*).

Ce n’est cependant pas cette hypothèse principale d’un État administratif que l’on s’est proposé de « suivre » mais l’idée suggérée par Marie-France Toinet que la décentration du regard sur les États-Unis n’est pas seulement éclairante mais proprement indispensable. C’est dans le même ordre d’idées que Cass S. Sunstein, dans un article à la New York Review of Books, a souligné qu’une partie importante du devenir des politiques publiques fédérales dépend en réalité de la validation ou de l’invalidation par les cours fédérales de première instance ou d’appel des actes administratifs réglementaires de mise en œuvre de ces politiques :

« Aussi fondamental qu’il puisse être », écrit-il, « le débat sur l’interprétation de la Constitution manque un problème qui a peut-être une bien plus grande importance dans la vie américaine. Beaucoup de décisions juridiques les plus significatives n’impliquent pas du tout la Constitution. La plupart des personnes n’entendent jamais parler de ces décisions. Mais elles déterminent le destin d’innombrables actes réglementaires, publiés par des agences fédérales, qui sont indispensables à la mise en œuvre de lois importantes – notamment les lois vouées à réformer l’assurance-maladie, à garantir la stabilité financière, à protéger les consommateurs, à garantir un air et une eau propres, à protéger les droits civils… Nombre de batailles politiques contemporaines − la réforme de l’assurance maladie, la réforme financière, la protection de l’environnement, la sécurité sur le lieu de travail, les droits civils − seront en fin de compte réglées judiciairement par des juridictions fédérales inférieures à travers des décisions qui ne retiendront guère l’attention du grand public. Certes la Cour suprême a validé l’Affordable Care Act, mais certains des actes réglementaires de la loi peuvent se révéler vulnérables devant les juridictions fédérales inférieures » (*).

Circonscrit ici à l’institution du fédéralisme, ce regard décentré donne précisément à voir une sorte de contrechamp de deux des trois principes qui substantialisent la doctrine (ou la perception) traditionnelle du fédéralisme américain, le principe de « séparation » (ou de « superposition ») et le principe d’« autonomie » des entités fédérées (*).

(...)

Pascal Mbongo, "De la connaissance décentrée du droit américain : l’exemple du fédéralisme", in Le Droit américain dans la pensée juridique française contemporaine , 2013.

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