Douglas McKeon (juge-président de la cour suprême du Bronx) : « Ma carrière ne dépend pas de DSK » (Interview par Marie-Christine Tabet, Le Journal du Dimanche, 24 mars 2012)

INTERVIEW - Le juge Douglas McKeon dirige la cour suprême du Bronx en charge du procès civil DSK-Nafissatou Diallo. Il présidera mercredi une audience "déterminante".

Comment juger sereinement l’affaire DSK-Diallo ?

Je ne suis intimidé, ni par l’effervescence médiatique autour de ce procès, ni par la notoriété de Dominique Strauss-Kahn. J’ai accepté la retransmission des débats pour éviter toute surenchère.

Dans le Bronx, une affaire qui oppose une immigrée noire et pauvre à un homme blanc et riche est-elle sensible pour le magistrat élu que vous êtes ?

Mon mandat expire en 2017 et je suis élu sans discontinuité par la population du Bronx depuis 1990. Lors de ma dernière élection, j’ai été soutenu par l’ensemble des formations politiques. Alors, soyez rassuré : ma carrière ne dépend pas de DSK !

Que va-t-il se passer le 28 mars prochain ?

C’est une audience déterminante mais très technique. Dominique Strauss-Kahn demande l’abandon des poursuites car il considère que, lors de son arrestation, il était protégé par son immunité diplomatique en raison de ses fonctions au FMI. C’est un point de droit que je trouve très intéressant. Dans quelles circonstances peut-on considérer qu’un diplomate représente son pays ou son institution et jusqu’à quand ? Les avocats de Dominique Strauss-Kahn vont me présenter leur argumentation. Ensuite, je prendrai entre deux ou trois semaines pour rendre une décision écrite.

Si vous leur donniez raison, ce serait la fin de l’affaire du Sofitel ?
Oui, si aucune des deux parties ne fait appel de ma décision devant la cour suprême de Manhattan.

Dans le cas contraire ?
Nous entrerons alors dans la phase du discovery, période pendant laquelle chaque partie découvre, au sens propre, les éléments du dossier de l’adversaire. Il s’agit, la plupart du temps, de dépositions ou de témoignages recueillis dans le cadre d’enquêtes à charge menées contre le camp adverse. Pendant cette phase, les avocats ont la possibilité d’entendre le plaignant et l’accusé.

Quand l’affaire sera-t-elle jugée ?
D’ici à deux ans. S’il y a un procès…

En doutez-vous ?
Oui. Un accord à l’amiable est trouvé dans près de 90% des quelque 25.000 dossiers que le tribunal du Bronx examine chaque année… Je pense que c’est également la pratique – dans des proportions sans doute moins importantes – dans toutes les juridictions du pays.

Serez-vous favorable à un règlement de gré à gré ?
Dans ce tribunal, nous encourageons les avocats à trouver un terrain d’entente chaque fois que c’est possible. Sinon, il serait asphyxié. Je suis là pour faciliter le dialogue entre les deux parties. Si une telle option n’est pas envisageable, alors nous organisons un procès et convoquons un jury…

Quand cette négociation peut-elle intervenir ?
À tout moment, avec ou sans mon aide. Mon expérience montre qu’il est bon que les discussions commencent le plus tôt possible pour avoir une chance d’aboutir.

Les jurés du Bronx ont la réputation d’être particulièrement favorables aux plaignants. Est-ce une mauvaise nouvelle pour DSK ?
Il n’y a aucune statistique fiable qui permet de le dire. La première fois que cette allégation est apparue, c’est dans le best-seller Le Bûcher des vanités. Depuis, les journalistes reprennent fréquemment cette hypothèse. Il y aurait des raisons ethniques et raciales pour l’expliquer. Les immigrés noirs et hispaniques auraient une appréciation différente du reste de la population… Au fil des années, je constate ici une empathie plus forte qu’ailleurs pour la détresse humaine et les vies cabossées. Mais la réalité est plus complexe. La réputation de cette cour incite surtout les avocats des victimes présumées à être plus audacieux et plus exigeants qu’ailleurs ! Cela pourrait également expliquer des réparations accordées plus généreuses…

Pensez-vous que, jusqu’ici DSK, a été maltraité par la justice américaine ?
Non. Il a été traité comme toute personne impliquée dans une affaire criminelle aux États-Unis. Le système de caution est très classique. Le montant qui lui a été demandé a pu paraître astronomique aux Français, mais il a été fixé en fonction de ses possibilités économiques.

(...)

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