Jury pénal, peine de mort et homosexualité. De l’arrêt Rhines. v. South Dakota (2018)

La Cour suprême a-t-elle validé la condamnation à mort d’une personne dont la conviction pour meurtre a été déterminée par son orientation sexuelle ? La question nous a été posée par un journaliste français qui nous a informé par la même occasion de ce que « c’était devenu viral en France chez les journalistes et dans la communauté LGBT ». Cette croyance est née d’une tribune publiée le 19 juin 2018 sur le site du New York Times par une avocate investie dans la lutte contre les discriminations dirigées contre les LGBT, soit un texte plus affirmatif que ne l’est son titre et son usage du conditionnel.

Charles Russell Rhines fut condamné à la peine de mort en 1992 pour le meurtre à coups de poignard dans l’abdomen et dans le dos de Donnivan Schaeffer, un jeune employé (22 ans) d’une beignerie de Rapid City dans le Dakota du Sud. Bien des années après cette condamnation, certains jurés se répandirent en déclarations interprétées comme autant de preuves de ce que l’homosexualité de Charles Russell Rhines avait été prépondérante dans leurs délibérations et donc dans sa condamnation à mort. Tel juré assura publiquement qu’un autre avait dit que le prévenu ne devrait pas se voir accorder l’occasion de passer sa vie en prison en compagnie d’autres hommes. Tel autre juré accusa un autre juré d’avoir affirmé qu’envoyer C. R. Rhines en prison reviendrait à « l’envoyer là où il veut aller »… La thèse selon laquelle Charles Russell Rhines avait été condamné à mort « à cause de son homosexualité » était née, une thèse enrichie rétrospectivement par la publicité faite à des questions que le jury, réuni pour délibérer, est supposé avoir posées au juge : Charles Russell Rhines serait-il incarcéré dans une prison « normale » qui lui donne le loisir de se vanter auprès de « jeunes hommes » ? Pourrait-il se marier en prison ? Aurait-il droit à des visites conjugales ?

En tout cas, cette thèse est ambiguë car elle a souvent été perçue comme étant liée à l’innocence du prévenu alors qu’elle ne se rapporte qu’à la seule question de savoir si cette homosexualité avait été déterminante dans le choix du jury de la peine de mort plutôt que d’une réclusion criminelle. Après que ses recours devant la Cour suprême du Dakota du Sud furent rejetés en janvier 2018 (South Dakota v. Rhines, S.D. No. 28444 [S.D. January 2, 2018] (Appendix A) - South Dakota v. Rhines, S.D. No. 28460 [S.D. January 2, 2018] (Appendix B)), Charles Russell Rhines saisit la Cour suprême des États-Unis afin de lui faire dire que sa condamnation a été prononcée en violation de ses droits constitutionnels.

En droit, les avocats de Charles Russell Rhines partaient de l’arrêt par lequel la Cour suprême a jugé le 6 mars 2017 dans Pena-Rodriguez v. Colorado que lorsqu’un juré avait publiquement fait une déclaration claire qui indique que le jury s’est appuyé sur des stéréotypes raciaux ou une animosité raciale pour condamner un accusé, l’impartialité du jury pénal garantie par le Sixième amendement exige que la règle de l’irrévocabilité des décisions du jury soit écartée afin de permettre à une juridiction pénale (de fond) d’examiner les preuves apportées par ledit juré à ses assertions et de vérifier si les garanties constitutionnelles attachées au droit au jury pénal ont été bafouées. Les juges pouvaient donc déroger au secret des délibérations du jury et à l’immunité des déclarations faites par les jurés au cours de leur délibération si la preuve était faite de ce que des biais raciaux ont entaché une délibération pénale. Ce motif d’annulation d’un verdict (to impeach a verdict) s’ajoutait ainsi aux motifs les plus anciennement établis (communication d’un juré avec l’extérieur, illicéité d’une preuve soumise au jury, etc.). Cette solution avait été tout sauf consensuelle (5-4), le juge Samuel Alito, par exemple, dans son opinion dissidente, fit valoir que si les conséquences de stéréotypes et de biais raciaux pouvaient être « extrêmement dommageables » pour un accusé, les risques de déstabilisation du système du jury pénal étaient bien plus grands encore si l’on ébréchait davantage le secret des délibérations des jurys.

De ce que la Cour suprême, le 18 juin 2018, n’a pas admis le pourvoi de Charles Russell Rhines (17-8791 Rhines, Charles R. v. South Dakota), d’aucuns ont inféré qu’elle s’était opposée à cette « imitation ». En réalité, la Cour suprême n’a pas même envisagé la question substantielle soulevée par Charles Russell Rhines. Et ce pour une raison proprement procédurale et relative à ses conditions d’admission des pourvois : la matérialité des biais liés à l’orientation sexuelle du condamné n’ayant pas été établie de manière indiscutable et non-équivoque par ses conseils, il n’y avait pas de nécessité pour elle à statuer sur la question substantielle. De ce que nous avons compris, la Cour suprême refuse d’admettre le pourvoi de M. Rhines parce que l’Attorney General du Dakota du Sud, Marty J. Jackley, lui a exposé les conclusions de toutes les enquêtes qu’il a diligentées sur les délibérations du jury ayant condamné à mort Charles Russell Rhines. Autrement dit, les jurés qui s’étaient répandus dans la presse à propos de l’impact de l’homosexualité du prévenu dans leur décision sur la peine applicable, ou bien se sont rétractés, ou bien ont fait valoir que leurs déclarations avaient été mal interprétées. « Les jurés, a fait valoir l’Attorney General Marty J. Jackley, ont invariablement dit [au cours de nos enquêtes] qu’ils furent portés à voter la peine de mort par le fait d’avoir entendu Charles Russell Rhines s’esclaffer pendant ses aveux, et non pour toute autre raison inappropriée ».

21 juin 2018

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