L’oralité devant la Cour suprême à l’épreuve du Covid-19. La Cour organise des audiences téléphoniques.

La Cour suprême des Etats-Unis a commencé ce 4 mai 2020 une expérience destinée à durer au moins pendant deux semaines (du lundi au mercredi des semaines du 4 mai et du 11 mai) : l’audition par téléphone des plaidoiries des avocats des parties dans les affaires sur lesquelles elle va statuer avant l’été. Cette « audience téléphonique » est aussi inédite dans son histoire que le fait pour la Cour suprême de permettre leur édition sonore en direct, au nom de la publicité des audiences judiciaires, laquelle et habituellement assurée par la présence de la presse judiciaire et du public admis dans la limite des 100 places disponibles (ce qui oblige à faire la queue devant la Cour suprême avant le lever du soleil). Habituellement, c’est le vendredi que la Cour édite en ligne les enregistrements sonores des audiences de la semaine écoulée. Si ces enregistrements sonores ont été admis et pratiqués par la Cour depuis 1955, elle n’autorise toujours pas des enregistrements vidéos de ses audiences publiques, à la différence de nombreuses cours suprêmes d’Etat et d’au moins une cour fédérale, ces dernières continuant de le faire durant la crise du Covid-19 quand bien même ces audiences se tiennent plutôt désormais en visioconférence.

Le temps de plaidoirie imparti à chaque partie est le même, soit trente 30 minutes, en plus des deux minutes introductives dont elles disposent chacune. Chaque juge dispose de deux minutes pour poser des questions. Ils peuvent en poser d’autres s’il reste du temps à la fin du premier tour de table. Après le président John Roberts, la parole est donnée aux juges par ordre d’ancienneté (le juge Clarence Thomas, la juge Ruth Bader Ginsburg, le juge Stephen Breyer, le juge Samuel Alito, la juge Sonia Sotomayor, la juge Elena Kagan, le juge Neil Gorsuch et le juge Brett Kavanaugh) selon une tradition qui ne s’applique pas seulement aux audiences publiques de la Cour, mais également à leur délibéré et à leurs audiences privées.

La première des audiences téléphoniques de la Cour s’est ouverte le 4 mai 2020 à 10 heures pour l’affaire de propriété intellectuelle U.S. Patent and Trademark Office v. Booking.com B.V. relative à la possibilité de déposer des termes génériques : alors qu’un tel dépôt est en principe impossible, Booking.com n’a pas moins souhaité déposer son nom en faisant valoir que les termes génériques peuvent devenir des marques protégées à la faveur de l’ajout d’un domaine générique « .com ».

Ci-après l’audience téléphonique tenue devant la Cour suprême par Erica Ross, membre de l’équipe du Solicitor General et avocate de l’Etat fédéral dans l’espèce (la propriété intellectuelle est une compétence fédérale) et Lisa Blatt, l’avocate de Booking.com.

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Anecdotiquement, on notera que l’audience de la Cour ne s’est pas tenue dans l’enceinte même du tribunal au 1 First Street à Washington, DC (la Cour siège dans ce bâtiment depuis 1935). Les juges étaient installés dans un autre bâtiment fédéral, comme en 2001 après que de l’anthrax avait été découvert au service du courrier de la Cour.

Non moins anecdotiquement, on notera que si chacun des juges a revêtu son costume d’audience, ils n’ont cependant pas su se serrer la main dans l’antichambre de la chambre d’audience, comme le veut la tradition de civilité de la Cour créée par le président Melville W. Fuller. Et si les images publiées de l’avocate de Booking.com lors de cette audience la font apparaître dans le dress code habituel (des costumes et des tailleurs plutôt sombres qu’iguanesques) des avocats privés plaidant devant la Cour suprême (“conservative business dress in traditional dark colors”, dit le protocole de la Cour suprême), l’on ne sait pas si, pour être invisible par un public et par la Cour elle-même, la représentante du Solicitor General avait pratiqué le dress code (jaquette, pantalon rayé, ascot...) du Solicitor General ou de ses représentants devant la Cour (une obligation pour tous les plaideurs devant la Cour qui, après son abrogation, est devenue une tradition).

D’autres aspects du cérémonial très huilé de la Cour ne sont pas moins relativisés pour ses audiences téléphoniques. Tel est le cas de la sonnerie rituelle qui, cinq minutes avant l’audience, annonce l’entrée des juges dans la salle d’audience. Cette fois, les avocats des parties sont appelés par téléphone à 9h30 (heure de la côte Est) par l’huissier en chef du tribunal en vue de l’audience de 10h. Et la Cour a décidé de faire confiance à l’autodiscipline des avocats s’agissant du respect de leur temps de parole, loin de la tradition du voyant lumineux blanc qui s’allumait pour leur faire savoir que leur temps de parole avait expiré et du voyant lumineux rouge pour leur faire savoir qu’ils devaient s’interrompre de parler. La porte-parole de la Cour, Kathy Arberg, a fait savoir à la presse que le président Roberts ne dérogerait pas à son habitude de demander à l’avocat ayant épuisé son temps de parole de conclure par une ou deux phrases. Son prédécesseur, William Rehnquist (1986-2005), n’avait pas cette délicatesse : il ne laissait pas l’avocat imprudent terminer sa phrase.

Pascal Mbongo
5 mai 2020

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