La démission de l’US Attorney General, Jeff Sessions (7 novembre 2018).

Jeff Sessions, 71 ans, ancien sénateur de l’Alabama, le plus ancien et le plus fervent partisan du président au Congrès, a quitté ses fonctions de ministre de la Justice/Procureur général des Etats-Unis ce mercredi 7 novembre après des critiques brutales et répétitives du président Trump qui a annoncé cette démission sur Twitter et dit que Matthew Whitaker, le chef de cabinet de Jeff Sessions, assurerait son intérim. Dans sa lettre de démission (ci-après), Jeff Sessions précise qu’il démissionne « à la demande » du président Donald Trump.

Jeff Sessions, héraut de l’agenda légal et pénal républicain

En deux ans à la tête du Département de la Justice (DOJ), Jeff Sessions a profondément changé la politique juridique et pénale fédérale. C’est lui qui a mis en œuvre l’idée d’une suppression de subventions fédérales aux villes qui se définiraient comme « villes sanctuaires » pour les immigrants illégaux (en s’interdisant de faire demander par leurs polices aux étrangers leurs titres de séjour et, par suite, de mettre les illégaux à la disposition de la police fédérale). C’est encore Jeff Sessions qui a ordonné aux polices fédérales des frontières de pratiquer une « politique de tolérance zéro » pour les personnes qui franchiraient illégalement la frontière sud des États-Unis. Au moins à travers ses discours rigoristes, il revendiquait une « lutte sans concession » contre la criminalité violente. Plus sûrement, il a enjoint aux procureurs fédéraux de préempter chaque fois si nécessaire, au détriment des procureurs des États fédérés, toutes les affaires de drogue les plus importantes et de leur faire appliquer les peines fédérales les plus sévères. Ainsi, les procureurs fédéraux ne devaient plus se limiter à ne préempter que les affaires les plus importantes en matière de cannabis dans les États où cette drogue était légale.

Le plus « trumpien » des congressmen républicains pris au piège de l’affaire russe

Les graines du départ de Sessions ont été plantées lors de son audience de confirmation. Ses anciens collègues du Sénat ont « assenti » à sa nomination comme US Attorney General par 52 voix contre 47 , malgré les inquiétudes concernant des allégations sur son insensibilité vraie ou supposée à la « question raciale » et aux droits civiques. Surtout, et sous la pression de la presse, Jeff Sessions avait été obligé de corriger son témoignage devant le Sénat afin d’indiquer qu’il avait en fait rencontré l’ambassadeur de Russie au moins deux fois en 2016, ce qui permit aux démocrates de l’accuser à différentes reprises de l’infraction fédérale de fausses déclarations au Congrès. Dès le mois de mars 2017, la question se pose de savoir si Jeff Sessions peut superviser l’enquête en cours du Département de la Justice sur l’ingérence de la Russie dans les élections américaines de 2016, compte tenu de son rôle actif dans la campagne de Donald Trump. En fin de compte, après avoir consulté les responsables de l’éthique du Département de la Justice, Jeff Sessions décide de se récuser de toute supervision de l’enquête sur la Russie, à la grande fureur du président Donald Trump qui fera savoir publiquement son « regret » de cette décision à travers des tweets et des interviews. Le président Trump est devenu encore plus défiant lorsque l’adjoint de Jeff Sessions, Rod Rosenstein, après le limogeage par Donald Trump du directeur du FBI, James Comey, a nommé un « conseiller spécial » (une sorte de procureur spécial) afin de mener l’enquête sur la Russie : l’ancien directeur du FBI, Robert Mueller.

Deux conceptions radicalement opposées de la police et de la justice fédérales dans leur rapport au pouvoir politique

Lorsque Robert Mueller a embauché plus d’une vingtaine de membres du FBI et de procureurs expérimentés dans les domaines de la fraude, du blanchiment de capitaux, du crime organisé et du privilège des dirigeants, Donald Trump a explosé. Il a dénigré Jeff Sessions, Rod Rosenstein, Robert Mueller ainsi que toute la pratique d’indépendance de la police fédérale inaugurée après le Watergate (entretien avec le New York Times à la mi-juillet 2017). « Jeff Sessions, assura-t-il, n’aurait jamais dû se récuser, et s’il voulait se récuser, il aurait dû me le dire avant de prendre le poste et j’aurais choisi quelqu’un d’autre ». Des vétérans du ministère de la Justice ont déclaré que ces propos témoignaient d’une profonde incompréhension de la culture du ministère de la Justice et du FBI - qui tentent d’isoler leur travail de la politique - et témoignaient de que Donald Trump reconnaissait ainsi qu’il voulait que son procureur général le protège dans l’enquête sur la Russie en empêchant le FBI d’aller au fond des choses.

L’establishment politique à Washington a alors commencé à se demander à voix haute combien de temps Sessions pourrait garder son poste. Au début, d’anciens collègues du Sénat se sont mobilisés et lui sont venus en aide, en défendant son intégrité. Pour sa part, Jeff Sessions a déclaré à Tucker Carlson de Fox News que les propos de Donald Trump avaient été « blessants » mais qu’il avait servi au gré du président.

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Vers un limogeage ou une séparation à l’amiable ?

Au début de novembre 2017, Trump a déclaré aux journalistes : « beaucoup de gens sont déçus du ministère de la Justice, y compris moi ». Il a ajouté qu’il était « frustré » de ne pas pouvoir demander au ministère de la Justice ou au FBI de prendre certaines décisions dans des cas spécifiques. Dans le même temps, des questions sur le comportement de Jeff Sessions au cours de la campagne ont refait surface après un plaider-coupable de l’ancien assistant en politique étrangère George Papadopoulos qui a déclaré aux procureurs qu’il avait tenté d’organiser une réunion entre Donald Trump et le président russe Vladimir Poutine pendant la campagne et qu’il en avait parlé lors d’une réunion en mars 2016 à laquelle participaient Donald Trump et Jeff Sessions. « Ces faits semblent contredire votre témoignage sous serment à plusieurs reprises », avait souligné le Comité judiciaire de la Chambre dans une lettre à Jeff Sessions. Ce à quoi l’intéressé que sa mémoire lui avait fait défaut la première fois et que le plaider-coupable de Papadopoulos lui avait rafraîchi ses souvenirs. « J’ai toujours dit la vérité, et j’ai répondu à toutes les questions telles que je les ai comprises et autant que je m’en souvienne », déclare-t-il le 14 novembre 2017 lors d’une audition au Sénat.

Au début de l’année 2018, l’avocat de Jeff Sessions a confirmé que l’Attorney General avait volontairement déposé devant les enquêteurs en tant que témoin de l’enquête relative quant à elle à une éventuelle entrave à la justice de la part du président (enquête connexe à celle sur les ingérences de la Russie, mais toutes deux menées par Robert Mueller). Donald Trump dira ne pas être « préoccupé » par cette interview de l’avocat de son ministre. Après le plaider-coupable de Michael Cohen, avocat historique et confident de Donald Trump et (le même jour d’août 2018) la condamnation de Paul Manafort, l’ancien directeur de la campagne présidentielle de Donald Trump, ce dernier a ouvertement critiqué Jeff Sessions sur Fox News, lui reprochant de ne pas « contrôler » le Département de la justice. Accusation rejetée par Jeff Sessions dans une déclaration à la presse. Le Département de la Justice, ajoutait-il, « ne sera pas indûment influencé par des considérations politiques », ceux qui y sont chargés de l’application de la loi étant « les meilleurs au monde ».

« Je n’ai pas un ministre de la Justice ». Lorsqu’en septembre 2018, Donald Trump fait cette déclaration dans une interview à la chaîne de télévision Hill.TV, la question n’est plus alors que celle de la date de la séparation. Et il était entendu que ce serait plutôt après les midterms du 6 novembre, et idéalement immédiatement après pour l’hypothèse où il faudrait au successeur de Jeff Sessions compromettre sérieusement, voire annihiler une enquête de Robert Mueller annoncée comme en instance d’être close avant la fin de l’année 2018.

PM/NPR

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