Le 1er amendement, les enfants et les jeux vidéos violents, Brown and Governor of California v. Entertainment Merchants Association, 27 juin 2011

La Cour suprême des États-Unis a rendu ce 27 juin un important arrêt Brown and Governor of California v. Entertainment Merchants Association.

L’opinion de la Cour.

Les industries du jeu vidéo et des logiciels mettaient en cause une loi de l’État de Californie qui interdisait la vente ou la location de jeux vidéo particulièrement violents aux mineurs. La Cour fédérale de district initialement saisie avait conclu que la loi californienne violait le Premier Amendement.
Pour la Cour suprême, les jeux vidéo font partie du champ d’application de la protection dévolue par le Premier Amendement de la Constitution des États-Unis : au même titre que les livres, le théâtre, les films, ils communiquent des idées à travers des dispositifs narratifs et des ressources qui leur sont spécifiques. Or pour la Cour, « les principes de base en matière de liberté d’expression ... ne varient pas » selon la nouveauté et l’originalité d’un support de communication (Joseph Burstyn, Inc v. Wilson).
Pour la Cour, le principe constitutionnel fondamental selon lequel les pouvoirs publics n’ont pas la faculté de limiter l’expression en raison de la nature du message, des idées, du sujet, ou du contenu, (Ashcroft v. American Civil Liberties Union) ne se prête qu’à des exceptions très limitées désignant des discours traditionnellement non protégés, comme les discours obscènes, les discours incitatifs à la commission d’un crime ou d’un délit, ou les discours de provocation de délit ou de crime (fighting words). Mais une législature d’État ne peut pas créer de nouvelles catégories de discours non protégés simplement en évaluant ces discours en fonction de leur résonance sociale (United States v. Stevens). Contrairement à la loi de l’État de New York impliquée dans Ginsberg v. New York, ajoute la Cour, la loi de la Californie ne tendait pas à ajuster les frontières d’une catégorie existante de discours non protégés afin de s’assurer de ce qu’une définition conçue pour des adultes était inopportune pour les enfants. La Cour suprême a considéré qu’au lieu de cela, l’État de Californie a souhaité créer une nouvelle catégorie de discours se prêtant à une réglementation au regard de son contenu, cette catégorie étant circonscrite aux discours en direction des enfants. « Cela est sans précédent et erroné », a insisté la Cour suprême. « Ce pays [les États-Unis] n’a aucune tradition de restriction légale de l’accès des enfants à des images de violence », a-t-elle encore argué. Et la thèse de l’État de Californie selon laquelle les jeux vidéo « interactifs » soulèvent des problèmes particuliers – dès lors que le joueur prend part à l’action violente se déroulant sur l’écran et détermine ainsi son résultat – a été jugée peu probante.
La loi de l’État, en tant qu’elle constitue une immixtion dans le contenu d’un discours protégé est inconstitutionnelle, sauf si la Californie avait pu démontrer minutieusement qu’elle est justifiée par un intérêt public « irrésistible » et que ses prescriptions sont strictement destinées à servir cet intérêt (R. A. V. v. St Paul). Et pour la Cour, la Californie ne parvient pas à faire cette démonstration. Certes des études psychologiques prétendent montrer un rapport d’engendrement entre l’exposition aux jeux vidéo violents et des effets nuisibles sur les enfants. Néanmoins, « ces études ne prouvent pas qu’une telle exposition est la cause des agissements violents auxquels peuvent se livrer des enfants. Et à supposer même qu’il y ait des effets liés à cette exposition à des images violentes, a poursuivi la Cour, ces effets sont à la fois minimes et insusceptibles d’être distingués des effets produits par d’autres médias ». Le fait que la Californie se soit abstenue de « réguler » ces autres médias, « les dessins animés du samedi matin par exemple », n’en rend que plus douteuse la motivation qu’elle avance à l’appui de la loi litigieuse. La Californie ne peut pas davantage démontrer, toujours selon la Cour, que les restrictions édictées par la loi litigieuse répondent à une forte demande des parents en vue de limiter l’accès de leurs enfants aux vidéos violentes. D’autant moins que le système d’auto-classification professionnelle mis en place par l’industrie du jeu (l’Entertainement Software Rating Board) satisfait déjà à cette demande.

Remarques

Plusieurs choses sont remarquables dans l’arrêt de la Cour suprême. D’abord le fait même que la Cour suprême ne conçoive de police administrative (ou de répression de quelque nature) des jeux vidéos (et plus généralement des vidéogrammes) que dans la seule mesure où ils contiennent des discours ou des images obscènes (selon les critères arrêtés depuis le Miller test en 1973), des discours ou des images incitatifs ou provocateurs de délits et de crimes.

D’autre part, la Cour suprême (du moins le juge Scalia, qui a rédigé l’argumentaire auquel s’est rallié la majorité de la Cour) se livre en quelque sorte à une sociohistoire de la violence aux États-Unis, dont elle ne semble pas inférer que cette violence est un problème politique tel qu’il faille restreindre la portée de certains droits constitutionnels. C’était déjà le cas pour les armes à feu et le 2me amendement. Et il est constant que cette sociohistoire de la violence ne fait jamais l’unanimité de la Cour, comme le prouve l’opinion dissidente du juge Breyer dans le cas d’espèce.

Enfin, l’on doit souligner la conviction de la Cour selon laquelle les travaux de psychologie sollicités par l’État de Californie et relatifs à un lien de causalité entre la violence des programmes audiovisuels et l’agressivité des enfants ne sont pas dirimants. Il faudrait sans doute s’interdire de reprocher à la Cour suprême d’être anti-intellectualiste, puisqu’en d’autres circonstances elle a pu être bien disposée à l’égard de la psychologie (individuelle ou sociale). Ce fut le cas, par exemple, dans Brown v. Board of Education of Topeka, dans le contexte de la déségrégation ou dans ses arrêts sur l’Affirmative action. On dira plutôt que la Cour suprême s’est laissé convaincre par certains autres pyschologues non moins éminents mais sollicités par les fabricants de jeux vidéos, ces psychologues s’étant simplement – si l’on ose dire – attachés à mettre en évidence, ou bien les présupposés idéologiques, ou bien les biais « épistémologiques » des travaux de leurs collègues sollicités par l’État de Californie. Si l’on se souvient de ce que cette discussion intellectuelle a quelque peu existé en France, lors de la remise du Rapport Kriegel, on suggèrera néanmoins que si elle n’a pas été aussi prospère dans le débat public français qu’elle ne l’est aux États-Unis, c’est peut-être parce que, somme toute, les polices des discours et des images tendant à la protection de la jeunesse sont assorties en France à une justification morale.

Pascal Mbongo, 27 juin 2011.

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