Le chien, la syntaxe et le droit à l’avocat devant la police.

Avec Miranda v. Arizona (1966), la Cour suprême des États-Unis rend l’une de ses décisions ayant eu la plus grande influence dans les procédures pénales des États démocratiques. Voici comment, au visa du Ve et du 14e amendements, elle y définit les « droits Miranda » (du nom du requérant), rendus populaires par le fameux « avertissement Miranda » des séries audiovisuelles et des films :

…The person in custody must, prior to interrogation, be clearly informed that he/she has the right to remain silent, and that anything the person says will be used against that person in court ; the person must be clearly informed that he/she has the right to consult with an attorney and to have that attorney present during questioning, and that, if he/she is indigent, an attorney will be provided at no cost to represent him/her. miranda rights

En pratique, les choses peuvent être plus complexes. En premier lieu, les statistiques révèlent que dans de nombreuses villes, le nombre de personnes ayant fait l’objet d’une interpellation policière et ayant été assistées par un avocat avant le premier interrogatoire est remarquablement faible : la très grande majorité des premières auditions policières se fait hors la présence d’un avocat. D’autre part, il existe certains contextes policiers dans lesquels les « droits Miranda » ne sont pas exigibles, puisque ces droits ne sont exigibles que dans les cas d’interrogatoires policiers assortis de privation de liberté (custodial interrogation), lesquels n’ont pas nécessairement lieu dans les locaux de la police.

Il reste qu’à compter du moment où la personne interpellée ou retenue par la police demande à avoir un avocat, l’interrogatoire policier doit immédiatement s’interrompre, toute déclaration faite postérieurement à cette demande hors la présence de l’avocat étant nulle et non avenue, même si la personne privée de liberté a, par la suite, conçu de conférer avec les policiers après que ceux-ci lui ont relu ses droits Miranda : la première demande d’avocat doit d’abord être satisfaite (Edwards v. Arizona, 1981).

Les choses sont évidemment simples, lorsque la personne interpellée ou privée de liberté dit : « Je veux un avocat ». Elles le sont moins lorsqu’elle s’exprime dans une langue équivoque. Comme dans l’affaire Davis v. United States (1994). La personne retenue par la police avait alors agrémenté la lecture de ses « droits Miranda » d’un « Oui, c’est une bonne idée, j’aimerais un avocat ». Mais à la fin de la lecture de ses droits, elle renonça à son droit à l’avocat et répondit aux questions de la police, avant de se raviser par un « Je pense que je veux un avocat avant de dire quoi que ce soit ». Les policiers s’interrompirent de l’interroger et firent droit à sa demande. Les juges validèrent ses déclarations antérieures à cette interruption par suite de la demande d’un avocat, puisque, considérèrent-ils, Davis (1) n’avait pas demandé un avocat à travers son commentaire de l’avertissement Miranda (2) avait renoncé clairement à avoir un avocat à la fin du prononcé de l’avertissement Miranda.

Dans l’affaire Warren Demesme jugée par la Cour suprême de Louisiane le 27 octobre 2017, les choses sont un brin plus cocasses. L’accusé a introduit un pourvoi en cassation devant ladite cour contre sa condamnation pénale pour viol et atteinte sexuelle sur mineures. Le moyen de son pourvoi se rapportait à la violation de ses « droits Miranda », puisque, soutenait-il, sa demande d’un avocat n’avait pas été satisfaite et que les déclarations compromettantes qu’il a faites à la police étaient donc nulles et non avenues. Son pourvoi ne fut pas admis par la Cour suprême de Louisiane dont un des membres, le juge Scott J. Crichton, s’obligea à motiver son propre vote en faveur du refus d’admission, plutôt que de se satisfaire de la formule lapidaire par laquelle les cours supérieures américaines peuvent décider d’un refus d’admission. Le problème était le suivant : un premier interrogatoire eut lieu après lecture des « droits Miranda » et renonciation par le mis en cause de son droit à l’avocat. Un deuxième interrogatoire n’eut pas moins lieu après lecture des « droits Miranda » et nouvelle renonciation au droit à l’avocat. Toutefois, au cours de ce second interrogatoire, le mis en cause prononça la phrase suivante :

« If y’all. This is how I feel, if y’all think I did it, I know that I didn’t do it, so why don’t you just give me a lawyer dog cause this is not what’s up ».

Le juge Crichton, comme le ministère public, estimèrent que Warren Demesme n’a pas invoqué son droit constitutionnel à travers cette phrase, puisqu’elle est équivoque et sujette à interprétation de la part des policiers, ce que ne doit jamais être une invocation du droit à l’avocat. Tout semble avoir tenu à l’absence d’une virgule ou d’une intonation : « a Lawyer, dog » eut été non-équivoque, alors qu’il faut conjecturer sur ce que veut dire « a Lawyer dog » et sur le fait de savoir si avait éprouvé un supposé langage populaire dans lequel « Lawyer dog » serait synonyme de « copain d’avocat » et renverrait à de précédentes interventions de l’avocat auquel pensait le locuteur.

Conclusion. Les prévenus doivent demander un avocat clairement, en style direct, sans équivoque, sans métaphore, sans litote, sans prétérition, sans antiphrase, sans asyndète, etc.

13 novembre 2017

Crédit photo : Lucas Bosley.

Mentions légales | Conception et réalisation: Lucien Castex | Plan du site | Accès restreint