Le juge Clarence Thomas, héraut de l’originalisme constitutionnel et du conservatisme noir aux États-Unis

Chaque été, le juge Clarence Thomas invite ses quatre nouveaux juristes-assistants (clerks) à venir voir chez lui un film. Pas n’importe quel film, mais l’adaptation de 1949 de The Fountainhead d’Ayn Rand, un classique du conservatisme libertarien. Le héros du film, joué par Gary Cooper, est un architecte idéaliste mais têtu, qui, comme l’a écrit Rand, « a été seul contre les hommes de son temps ». Un personnage, diraient certains, ressemblant de Clarence Thomas. « Si vous pensez que vous avez raison, il n’y a rien d’inconvenant à être seul à penser ce que vous pensez », a-t-il dit l’année dernière dans une explication de son affection pour le film. « Je n’ai aucun problème avec le fait d’être le seul ».

Cela fait vingt ans que le président George H.W. Bush a nommé Clarence Thomas à la plus haute juridiction. Depuis, Clarence Thomas est rangé parmi les membres du bloc conservateur de la cour. Mais cette étiquette ne rend pas compte de la singularité de sa position. Dans une institution où la capacité de décider dépend de la création d’une majorité à cinq votes, aucun autre juge n’est aussi fier de pouvoir se (re)trouver seul. Il évite absolument de prendre part aux échanges en chaire entre les juges de la cour suprême et, cinq années durant, il n’a posé de question ni fait de commentaires pendant les audiences de la cour.

Et ses avis les plus provocateurs ont été des opinions dissidentes solitaires. Parmi ces opinions, il y a celle dans laquelle il a déclaré que la Constitution donne aux États le droit d’établir une religion officielle. Les prisonniers, a-t-il encore écrit, n’ont aucun droit constitutionnel à être protégés des brimades des gardiens. Les adolescents et des étudiants n’ont aucun droit à bénéficier de la liberté d’expression, a-t-il dit lundi dernier dans une opinion, parce qu’au 18ème siècle, lorsque la Constitution a été écrite, les parents avaient une « autorité absolue sur leurs enfants ». Il y a deux ans, la cour a jugé qu’un responsable scolaire ne pouvait pas soumettre une fille de 13 ans à une fouille corporelle afin de chercher deux pilules très fortes d’ibuprofène. Clarence Thomas a seul commis une opinion dissidente favorable à une fouille « raisonnable et justifiée ». Seul, il a voté pour l’abrogation d’une partie clé du Voting Rights Act qui est réputée avoir donné aux Noirs un pouvoir politique dans le Sud. Et il était seul à soutenir l’administration Bush dans l’idée que tout citoyen américain pourrait être qualifié de « combattant ennemi », ce sans charges et sans audience judiciaire. Il est perçu comme allant certainement voter contre la réforme de l’assurance-maladie du président Obama dans la mesure où il s’était déjà prononcé en faveur de l’inconstitutionnalité d’un certain nombre de lois fédérales de régulation des affaires, au motif qu’elles allaient au-delà des pouvoirs constitutionnels du Congrès.

Les juristes-universitaires conservateurs qui admirent Thomas font valoir que c’est lui, plus que n’importe quel autre juge, qui incarne la doctrine juridique de l’originalisme, soit l’idée que la Constitution doit être interprétée exclusivement d’une manière qui donne à ses mots le sens qu’ils auraient reçu de la part de ceux qui l’ont adoptée 222 ans plus tôt. Selon John Eastman, professeur de droit à la Chapman University et ancien juriste-assistant de Clarence Thomas, « il s’attache à la manière dont la Constitution a été comprise au moment de la ratification. Il remonte aux principes premiers. Et il est enclin à discuter les précédents qui dévient de la compréhension originelle de la Constitution ».

Ses critiques voient en lui un juge déconnecté de la Cour suprême et du pays. « Il est le juge le plus radical à avoir siégé à la Cour suprême depuis des décennies », soutient Erwin Chemerinsky, doyen de l’University of California Irvine Law School et constitutionnaliste de gauche. Il « changerait la loi radicalement et accorderait peu d’importance aux précédents. Il est aisé de se rendre compte de sa radicalité par le fait que ses opinions sont ordinairement solitaires et n’attirent pas l’attention ».

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David G. Savage, “Clarence Thomas doesn’t mind being the odd man out”, Los Angeles Times, 2 juillet 2011 : Article payant.

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