P. Mbongo, "Forces publiques de sécurité et Etat de droit", in Xavier Latour et C. Vallar (dir.), Le droit de la sécurité et de la défense en 2013, PUAM, 2014, p. 30-49

(...) « Dans une société démocratique régie par le principe de la prééminence du droit », fait valoir le Conseil de l’Europe dans l’exposé des motifs du code européen d’éthique de la police, les forces publiques de sécurité ont pour buts principaux : « (d’)assurer le maintien de la tranquillité publique, le respect de la loi et de l’ordre dans la société ; (de) protéger et de respecter les libertés et droits fondamentaux de l’individu tels qu’ils sont consacrés, notamment, par la Convention européenne des Droits de l’Homme ; (de) prévenir et (de) combattre la criminalité ; (de) dépister la criminalité ; (de) fournir assistance et services à la population » (*). Cette manière d’envisager les choses est intéressante dans ce qu’elle hésite entre deux types d’appréhension intellectuelle des rapports entre forces publiques de sécurité et État de droit. C’est en effet de manière ancienne que l’on discute de la question de savoir si ces rapports doivent être analysés comme des rapports d’antagonisme, des rapports de consubstantialité ou des rapports de complémentarité. Or le code européen d’éthique de la police est partagé entre une vision « consubstantialiste » et une vision « complémentariste » de ces rapports : de fait, dans l’économie des représentations et des sensibilités contemporaines, c’est une perception « complémentariste » des rapports entre forces publiques de sécurité et État de droit qui est prégnante et qui donne sens à une entreprise telle que la consécration (purement formelle) dans la loi d’un « droit à la sécurité » qui, dans une perception « consubstantialiste » serait quelque chose comme une absurdité logique.

Pour être envisagée ici sous l’angle du droit, la question des rapports entre forces publiques de sécurité et État de droit ne peut cependant pas être réduite au droit. De très nombreux autres paramètres, non-juridiques et saisis habituellement par les sciences humaines et sociales affectent ces rapports : les modalités du recrutement et de la formation, la nature spécifique des différentes activités policières, les cultures policières, les idéologies professionnelles qui traversent les institutions policières, l’intensité de la « coproduction de l’ordre social » par les forces publiques de sécurité et les citoyens, etc.(**) D’un autre côté, des deux aspects que recouvre l’État de droit – soumission au droit et exigence de contrôles effectifs − l’on ne s’intéressera qu’à la résonance contemporaine du premier. En effet, le cadre normatif du contrôle des forces publiques de sécurité ne souffre pas tant d’incomplétude : entre les contrôles politiques (ceux du Parlement , ceux des institutions du Conseil de l’Europe ou de l’Union européenne), les contrôles administratifs internes (contrôles hiérarchiques, contrôles des corps d’inspection), les contrôles administratifs externes (CADA, CNIL, Contrôleur général des lieux de privation des libertés, Défenseur des droits…), les contrôles juridictionnels (celui des juridictions administratives au titre de la légalité et de la responsabilité, celui des procureurs sur la police judiciaire agissant en enquêtes de flagrance ou en enquêtes préliminaires, celui des magistrats instructeurs sur la police judiciaire dans l’exécution de commissions rogatoires, celui des tribunaux correctionnels ou des cours d’assises lorsque des agents publics de sécurité se voient imputer des infractions, celui des juridictions judiciaires au titre de L 141-1 du code de l’organisation judiciaire ). Sans oublier le magistère du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’Homme. Les affectations récentes de ce cadre normatif (transformation par la loi organique du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits de l’ancienne Commission nationale de déontologie de la sécurité en un simple collège du Défenseur des droits, intégration de l’IGS à l’IGPN et ouverture d’une saisine directe de l’IGPN par les citoyens ) ont d’ailleurs plutôt voulu répondre aux récriminations d’inefficacité ou d’opacité faites à certaines institutions de contrôle.

L’on se posera donc ces deux questions : qu’en est-il des interdits absolus qui pèsent sur les forces publiques de sécurité dans une société démocratique et libérale ? qu’en est-il de l’agenda législatif s’agissant des prérogatives nouvelles dont les forces publiques de sécurité voudraient être dotées ou de celles dont elles disposent déjà discutablement ?

(...)


(*) On signale volontiers la topographie proposée par Frédéric Gros, qui considère que sur la très longue durée et tous systèmes politiques confondus, les fonctions des forces publiques de sécurité consistent en : la « conservation des biens et des personnes (la police comme force publique qui prévient et combat le vol et le crime) » (la « police générale ») ; le « maintien de l’ordre public contre toute tentative de déstabilisation (combattre les mouvements subversifs, les groupuscules révolutionnaires, les ennemis de l’État, mais aussi encadrer et contrôler toute manifestation ou tout rassemblement qui pourrait représenter une menace pour le gouvernement en place ou la tranquillité publique) » (la « police politique ») ; la volonté de « faire triompher un Mouvement qui se dit missionné par l’Histoire » (la « police totalitaire », soit une « radicalisation » de la police politique) ; le « contrôle et (la) régulation des circulations : circulation des marchandises, circulation des personnes, circulation de l’air (problèmes des vivres, des approvisionnements, de l’hygiène, des engorgements des passages, de la fluidité des foules) » (Frédéric Gros, Le Principe Sécurité, Gallimard, coll. Essais, 2012, p. 142-143).

(**) Philippe Coulangeon, Geneviève Pruvost et Ionela Roharik, «  Les idéologies professionnelles. Une analyse en classes latentes des opinions policières sur le rôle de la police  », Revue française de sociologie, vol. LIII, 2012/3. - Ben Bradford et Jonathan Jackson, «  Pourquoi les Britanniques ont confiance dans leur police  », La Vie des Idées, 1er mars 2011, disponible en ligne.

Tags : Maltraitances policières - Défaut de discernement policier - Discernement et personnes vulnérables - Discernement et armes de force intermédiaire - Négligences - Contrôles d’identité au faciès - Fichiers de police - Garde à vue.

12 mai 2014

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