Pourquoi les professeurs de droit sont-ils moins promus comme juges fédéraux ou hauts fonctionnaires que ne semblait le promettre l’élection de Barack Obama ?

Avec l’un des leurs au Bureau Ovale, l’on aurait pu penser que les juristes universitaires américains connaîtraient un moment particulier de consécration à travers des nominations aux emplois fédéraux, au sein du pouvoir exécutif ou au sein du pouvoir judiciaire. Or les professeurs de droit ont plutôt reçu une douche froide, notamment lorsqu’il s’est agi d’emplois supérieurs nécessitant l’adoubement du Sénat.

Ainsi, le professeur Elizabeth Warren d’Harvard fut mise sur la touche à propos de la direction du nouveau Bureau de la protection financière des consommateurs après avoir heurté la sensibilité des leaders républicains par ses commentaires sceptiques sur Wall Street. Au final, le président Obama nomma l’ancien Attorney General (Ministre de la justice) de l’Ohio, Richard Cordray.

En mai, c’est le professeur Goodwin Liu de la Faculté de droit de Berkeley qui se retirera de la course en vue de Cour d’appel fédérale d’appel du 9ème Circuit après que le Sénat, par deux fois, manqua de la confirmer. Les Républicains objectèrent aux opinions de gauche exprimées par elle dans ses travaux académiques aussi bien qu’aux critiques acerbes que le professeur Liu forma contre Samuel Alito dans le contexte de la confirmation sénatoriale de l’intéressé pour sa nomination à la Cour suprême en 2006.

Et, il y a un an, la nomination envisagée du professeur Victoria Nourse de l’Université du Wisconsin comme juge fédéral du 7ème Circuit fut mise en suspens par le tout nouvel élu républicain du Wisconsin au Sénat, le sénateur Ron Johnson. Elena Kagan d’Harvard, Harold Koh de Yale et Scott Matheson Jr de l’Université de l’Utah furent respectivement confirmés pour la Cour suprême, le Département d’État et le 10ème Circuit de manière relativement rapides au début de la présidence d’Obama. Nombre de professeurs de droit ont été propulsés dans des emplois fédéraux nommés, comme par exemple Laurence Tribe et Neal Katyal d’Harvard. Toutefois, Obama n’a pas satisfait à l’attente de certains groupes d’intérêt de gauche de voir un nombre élevé de ses nominations aux emplois supérieurs dans l’exécutif ou dans la justice se porter sur des juristes universitaires. « Cette question avait pourtant été capitale lorsqu’Obama fut élu », fait valoir le professeur Carl Tobias de l’Université du Richmond et qui étudie les nominations judiciaires. « Il me semble que certains groupes d’intérêt de gauche pensaient qu’il serait en mesure de contrecarrer les hauts fonctionnaires et autres juges fédéraux parmi les plus conservateurs que les Républicains avaient nommés en choisissant davantage d’universitaires. J’ai peur que ce ne soit pas le cas ».

Sur les 30 nominations d’Obama aux cours fédérales de circuit, 4 ont concerné des universitaires. Un cinquième, Gerard Lynch, avait enseigné le droit à Columbia pendant un certain temps, mais avait déjà exercé neuf ans comme juge fédéral de district avant sa confirmation au 2nd Circuit en 2009. De manière générale, soutient Carl Tobias, les universitaires sont nommés auprès des cours d’appel, ce dans la mesure où il leur manque souvent l’expérience judiciaire requise pour prétendre aux cours fédérales de district.

Il va sans dire qu’Obama a essuyé des critiques pour son faible empressement apparent à procéder aux nominations judiciaires. Un article récent dans la revue universitaire Judicature, La politique judiciaire d’Obama à mi-mandat, a mis ainsi en cause la Maison Blanche pour sa lenteur dans les nominations et les confirmations aux emplois judiciaires, allant même jusqu’à dire qu’Obama essayait de réduire son interaction avec les universitaires et d’autres groupes intéressés par des nominations. (Un porte-parole de la Maison Blanche a répondu qu’il n’en était rien et que l’administration Obama avait agi « vigoureusement » pour pourvoir aux emplois vacants dans la justice).

Les réalités politiques liées à la composition du Sénat poussent Obama à réfléchir deux fois plutôt qu’une à l’idée de retenir un universitaire en vue d’une nomination, dans la mesure où les universitaires sont tendanciellement plus difficiles à voir confirmées par le Sénat que ne le sont des juges, fait valoir Michael McConnell, directeur du Centre de droit constitutionnel de Stanford et ancien juge au 10ème Circuit. Michael Mc Connell était en 2001 professeur au Collège de droit S. J. Quinney de l’Université de l’Utah lorsqu’il fut nommé juge par George W. Bush. La confirmation de sa nomination fut litigieuse, McConnell étant défini par un éditorial du New York Times comme un « opposant résolu au droit à l’avortement » qui par ailleurs « avait peu d’égards pour la séparation des églises et de l’État ».

« Je fais l’hypothèse que si vous remontez 20 ou 30 ans en arrière », ajoute Michael McConnell, « vous trouverez un certain nombre d’universitaires dont la confirmation a été problématique ». « La raison en est que les universitaires écrivent, et leurs écrits prêtent quelquefois à discussion. Lorsque vous écrivez un article pour une revue juridique ou un livre, ce n’est pas comme si vous représentiez un client devant un tribunal. Vous ne pouvez pas dire "ce n’est pas tout à fait ce que je pense, moi" ».

Pour Jonathan Adler, professeur de droit (Case Western Reserve University), il y a une tension entre la volonté des universitaires d’explorer librement des idées, et spécialement les plus controversées, et le fait que leurs écrits sont susceptibles de devenir engageants pour eux dans le contexte des nominations judiciaires. « Certains font valoir que ce que vous écrivez et ce que vous feriez comme juge sont deux choses différentes, mais cet argument n’a jamais vraiment séduit les sénateurs », ajoute Adler.

La faible productivité doctrinale d’Elena Kagan a été un facteur décisif dans sa confirmation sans apprêts, assure Carl Tobias. Elle a passé six ans comme doyen de la Faculté de droit d’Harvard et n’a pas publié beaucoup d’articles qui se démarquent de la doctrine juridique mainstream. A l’autre bout du spectre, les sénateurs républicains prirent en grippe un article paru en 1993 à la Minnesota Law Review du professeur et avocat spécialiste en droit du travail Craig Becker afin de faire barrage en 2010 à sa nomination au National Labor Relations Board. Pour l’essentiel, l’article soutenait que les employeurs devraient jouir d’une liberté d’expression limitée pendant les élections syndicales. Obama a néanmoins accordé à Craig Becker une recess nomination [les recess nomination sont prévues par l’article II, Section 2 de la Constitution des États-Unis et permettent au président de pourvoir à certains emplois fédéraux pendant les vacances parlementaires sans préjudicier au pouvoir d’assenntiment du Sénat] qui lui permet de servir au Board jusqu’à la fin de 2011 sans confirmation du Sénat [à défaut d’une confirmation dans ce délai, le poste redevient vacant à la fin de l’année].

La confirmation de Cass Sunstein d’Harvard comme administrateur de l’Office of Information and Regulatory Affairs [une sorte de Direction de l’information légale et de la qualité du droit], laquelle l’érige en « tsar du droit fédéral », traîna pendant huit mois après que certains sénateurs et certains groupes d’intérêt manifestèrent leurs préoccupations à l’égard de certains de ses écrits académiques relatifs à la qualité de la réglementation ou au aux droits des animaux.

Dawn Johnsen, un professeur de droit à l’Université de l’Indiana (Maurer School of Law, Bloomington), s’est retirée en avril 2010 de la course à la nomination comme patronne de l’Office of Legal Counsel, faute d’un vote pour ou contre du Sénat pendant 14 mois. Elle considère que l’opposition républicaine était motivée davantage par des considérations politiques que par des considérations personnelles, mais que ses écrits sur l’avortement et sa critique de la politique de lutte contre le terrorisme de Bush avaient fait d’elle une cible facile.

Pour Dawn Johnsen, « les universitaires ont vocation à critiquer ce qui ne tourne pas rond dans le monde et essaient de faire en sorte que les gens restent honnêtes. Ils sont récompensés pour leur créativité et il serait inapproprié pour des universitaires de devoir s’inquiéter de la manière dont chaque mot qu’ils écrivent serait interprété pendant le processus de confirmation. Il n’est pas souhaitable qu’ils soient contraints dans ce qu’ils écrivent. »

Les nominations judiciaires des professeurs de droit doivent également être rapportées à leur manque d’expérience judiciaire. « Il me semble que le problème est que nombre d’universitaires ont poursuivi des carrières qui les ont dispensé du type d’expérience professionnelle qui est typiquement celle requise pour des emplois supérieurs dans l’exécutif ou dans la justice. Goodwin Liu est un bon exemple à cet égard », dit Jonathan Adler. Outre ses opinions juridiques, les républicains l’interrogèrent sur son expérience, ou plutôt sur son manque d’expérience. Après avoir servi comme collaborateur pour plusieurs juges, y compris la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, Liu travailla chez O’Melveny & Myers pendant deux ans avant de rejoindre la Faculté de droit de Berkeley.

Pour Carl Tobias, les universitaires avec une grande expérience extra-universitaire conviennent en général mieux aux sénateurs. Ainsi, les deux universitaires qui furent confirmés dans les cours fédérales de circuit sous l’administration Obama avaient une expérience comme juge ou au ministère public. Lynch siégea à la Cour de district du district sud de New-York pendant neuf ans.

En mai, Obama a choisi le professeur Stephen Higginson (Loyola University, New Orléans) pour le 5ème circuit, et la nomination est en bonne voie de confirmation. La Commission judiciaire du sénat a donné son avis favorable au début du mois de juillet. Higginson devint un procureur fédéral adjoint [assistant U.S. attorney] en 1989 et sert actuellement comme procureur fédéral à temps partiel. Les juges sont parmi les nominations les moins controversées et parmi les confirmations sénatoriales parmi les plus faciles, soutient Carl Tobias, qui ajoute qu’Obama en a pourvu beaucoup.

À la différence des professeurs de droit, les juges agissent dans les limites des précédents, ce qui veut dire que leurs écrits se prêtent moins à controverse, dit Robert Schapiro, spécialiste des juridictions fédérales et doyen par intérim de l’Emory University School of Law. Mais Robert Schapiro et Michael McConnell reconnaissent qu’il y a une valeur ajoutée dans le fait d’avoir un corps judiciaire composé de juges avec des carrières diverses et des perspectives différentes. « Les universitaires apportent quelque chose », ajoute McConnell. « Nous ne voulons certes pas qu’ils dominent, mais nous voulons un mélange. Il ne devrait pas y avoir seulement un profil qui mène à la magistrature ».

Karen Sloan, Law professors find a hard road to federal appointments, The National Law Journal, 25 juillet 2011.
Traduit de l’anglais américain par Pascal Mbongo
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