Pouvoirs de guerre. Sur la décision du président des États-Unis de co-décider avec le Congrès d’une intervention militaire en Syrie

Le président des États-Unis a annoncé le 31 août 2013 qu’il solliciterait une « autorisation du Congrès » en vue d’un usage (éventuel) de la force militaire en Syrie, ce dans la perspective » d’une « punition » de l’usage d’armes chimiques imputé aux forces gouvernementales syriennes. On s’interdira de conjecturer sur les ressorts politiques de la décision de Barack Obama de saisir le Congrès. Ou plutôt on s’interdira de choisir entre les nombreuses conjectures auxquelles cette décision s’est prêtée, les hypothèses plausibles le disputant aux hypothèses farfelues (Barack Obama est « comme tous les hommes politiques, il veut plaire à tout le monde », a pu soutenir, agacée, la correspondante d’une chaîne de télévision française à Washington). On voudra simplement se demander (sans pouvoir évidemment répondre, faute d’être Madame Soleil) si la décision du président des États-Unis de co-décider avec le Congrès peut avoir une portée constitutionnelle qui dépasse « l’affaire syrienne ».

Depuis le début du XXe siècle, la prétention du Congrès à consentir expressément à toute opération extérieure impliquant les forces armées américaines ne s’est jamais démentie. Lorsque cette prétention s’appuie constamment sur l’article Ier section 8 de la Constitution qui donne au Congrès seul l’aptitude de déclarer la guerre et d’entretenir des forces armées et navales, la prétention concurrente des présidents de se dispenser en certaines circonstances d’une autorisation préalable du Congrès s’appuie pour sa part sur la qualité de Commander in chief accordée au président par l’article II de la Constitution.

Cette doctrine constitutionnelle du pouvoir unilatéral du Président de faire la guerre sans déclaration de guerre et sans autorisation du Congrès s’appuie par ailleurs sur les travaux de la Convention de Philadelphie et notamment sur le fait que plutôt que de prévoir que le Congrès déciderait de l’opportunité de « faire la guerre » (make war), il a finalement été décidé que le Congrès aurait seulement le pouvoir de « déclarer la guerre » (declare war), cette nuance sémantique ayant hypothétiquement été choisie afin précisément d’anticiper des situations inédites dans lesquelles l’intérêt national justifierait de procéder autrement. Au surplus, il est dit que la Cour suprême, pour avoir admis dans le contexte de la guerre civile à la faveur des Prize Cases (1863) qu’il pouvait y avoir « état de guerre » (state of war) sans déclaration de guerre, avait entériné une interprétation non-exclusiviste de la compétence constitutionnelle du Congrès en matière militaire.

La doctrine de la compétence universelle du Congrès pour autoriser tout usage présidentiel des forces armées − doctrine qui ne conçoit qu’une exception, soit la nécessité de répliquer à une attaque inopinée des États-Unis – s’appuie sur des arguments bien plus riches (sans être nécessairement dirimants) que la simple sollicitation de la lettre de l’article Ier section 8 de la Constitution. Afin de conforter sa lecture libérale (séparation des pouvoirs) et démocratique (les États-Unis comme « gouvernement du peuple par le peuple ») de cette disposition constitutionnelle, cette doctrine sollicite par ailleurs les travaux préparatoires de la Constitution et la Cour suprême du XIXe siècle.

Alexander Hamilton est ainsi convoqué pour faire valoir que la qualité de Commander in Chief du président consiste uniquement dans le commandement et la direction des forces armées et navales :

“The president of the United States would be an officer elected by the people for four Years. The king of Great Britain is a perpetual and hereditary prince. The one would be amenable to personal punishment and disgrace : the person of the other is sacred and inviolable. The one would have a qualified negative upon the acts of the legislative body : the other has an absolute negative. The one would have the right to command the military and naval forces of the nation : the other, in addition to this right, possesses that of declaring war, and of raising and regulating fleets and armies by his own authority. The one would have a concurrent power with a branch of the legislature in the formation of treaties : the other is the sole possessor of the power of making treaties (…)” (1)

Plus qu’à la Cour suprême, c’est à son illustre président John Marshall qu’il est par ailleurs fait référence, spécialement à cette assertion contenue dans son opinion dans Talbot, 5 U.S. (1801) :

“The whole powers of war being, by the Constitution of the United States, vested in Congress, the acts of that body can alone be resorted to as our guides in this inquiry”

Plus généralement, le juge Marshall est réputé avoir défendu la doctrine d’une compétence exclusive du Congrès pour autoriser l’usage des forces militaires dans une série d’affaires relatives à la saisie de navires pendant l’Undeclared War with France (« La Guerre non déclarée avec la France », soit le conflit larvé qui a opposé les États-Unis à la France entre 1798 et 1800) : Little v. Barreme, 6 U.S. 170 (1804) ; Talbot v. Seeman, 5 U.S. 1, 28 (1801) ; Bas v. Tingy, 4 U.S. 37 (1800).

Cette discussion constitutionnelle n’a pas été renouvelée par la loi de 1973 sur les pouvoirs de guerre ( War Powers Resolution, 50 U.S.C. § 1541), ce texte l’ayant simplement « déplacée » en se prêtant lui-même et nouvellement à la question de savoir s’il constitue une immixtion du Congrès dans la qualité constitutionnelle de Commander in Chief du président ou s’il est analysable comme un modus operandi qui, pour être praeter constitutionem ou secundum constitutionem, apporte une solution « raisonnable » au problème d’interprétation constitutionnelle attisé par la nature de certains conflits armés contemporains, de certains usages de forces militaires (par exemple la mise en oeuvre effective du droit international humanitaire) et les responsabilités internationales dont les États-Unis sont investis depuis le début du XXe siècle. Toutes choses « impensables » lorsqu’il fut par ailleurs décidé (au XVIIIe siècle) que le Congrès ne se réunirait que très occasionnellement et très ponctuellement (2). Posée à des juridictions fédérales en 2000 (ex-Yougoslavie) et en 2003 (Irak), cette question est d’autant moins parvenue à la Cour suprême que ces juridictions l’avaient rejetée sur des motifs procéduraux.

1er septembre 2013

Pascal Mbongo


(1) The Federalist, N° 69, Barnes & Noble Classics, 2006, p. 386.
(2) Aujourd’hui encore le nombre de jours annuels de session du Congrès est relativement faible. Il est inférieur par exemple au nombre de jours de session du parlement français.


Pour citer ce texte : Pascal Mbongo, « Pouvoirs de guerre. Sur la décision du président des États-Unis de co-décider avec le Congrès d’une intervention militaire en Syrie », études juridiques franco-américaines, 1er septembre 2013, URL, date de consultation.

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