Rétentions des étrangers et droits fondamentaux : Cour suprême des Etats-Unis, Jennings v. Rodriguez, 27 février 2018.

La Cour suprême des États-Unis a jugé le 27 février 2018 dans Jennings v. Rodriguez que les étrangers en rétention en cette qualité – ceux que l’Etat veut « éloigner » pour défaut de titre de séjour, ceux qui ont un statut légal permanent mais que l’Etat fédéral veut expulser parce qu’ils ont commis des délits, les demandeurs d’asile -, n’ont pas droit à des audiences périodiques pour des libérations sous cautions.

Le demandeur principal dans l’affaire est un résident permanent légal, Alejandro Rodriguez, qui est entré aux États-Unis lorsqu’il était enfant et qui a travaillé comme assistant dentaire. Adolescent, il avait été reconnu coupable de vol et à 24 ans, il a plaidé coupable du délit de possession de drogue. Le gouvernement fédéral voulait donc l’expulser.

Alejandro Rodriguez a été détenu pendant trois ans sans avoir le droit de comparaître devant un juge pour demander une libération sous caution.

Une importante association de défense des droits civils (l’American Civil Liberties Union, ACLU) a pris en charge le cas d’Alejandro Rodriguez et d’autres personnes, formant une action de groupe qui a permis d’obtenir la libération d’Alejandro Rodriguez et l’annulation de son ordre d’expulsion. Alejandro Rodriguez pouvait donc rester aux États-Unis. La cour fédérale d’appel (neuvième circuit) – le droit de l’immigration et de l’asile est une compétence fédérale, ses litiges relèvent donc des cours fédérales - qui en a décidé ainsi a considéré que les étrangers détenus en vue d’une expulsion ou d’une reconduite à la frontière ainsi que les demandeurs d’asile ne peuvent pas être détenus indéfiniment et qu’ils ont droit à une audience au moins tous les six mois à la faveur de laquelle ils pouvaient demander d’être libérés sous caution. La cour d’appel a également jugé que, pour pouvoir détenir ces étrangers, l’Etat fédéral devait démontrer qu’ils représenteraient « un danger » ou risqueraient de disparaître dans la nature s’ils étaient libérés.

L’administration Obama avait donc saisi la Cour suprême au motif que la cour d’appel s’était substituée au Congrès qui seul a le pouvoir de légiférer en matière d’immigration, qu’il l’avait fait en autorisant l’administration fédérale à détenir des « criminels et des terroristes étrangers » ainsi que des « étrangers souhaitant être admis aux États-Unis ». L’administration fédérale faisait encore valoir que ces étrangers détenus ès qualité ne devraient pas se voir reconnaître le droit d’intenter une action de groupe devant une juridiction fédérale : seules des requêtes individuelles d’habeas corpus devaient être admises en vue de la contestation de leur détention. Les défenseurs des droits estimaient pour leur part que peu de ces détenus avaient accès à un avocat et que, compte tenu du nombre de personnes concernées, le fait de procéder par requêtes individuelles créerait un encombrement du rôle des tribunaux qui allongerait de facto leur durée de détention.

La Cour suprême des États-Unis a donc jugé le 27 février 2018 dans Jennings v. Rodriguez que les étrangers en rétention en cette qualité – ceux que l’Etat veut « éloigner » pour défaut de titre de séjour, ceux qui ont un statut légal permanent mais que l’Etat fédéral veut expulser parce qu’ils ont commis des délits, les demandeurs d’asile -, n’ont pas droit à des audiences périodiques pour des libérations sous cautions.

C’est une décision qui a pour conséquence d’entériner le fait pour les institutions fédérales de pouvoir placer en détention ces étrangers pendant très longtemps. Ces détentions préalables (théoriquement) à des expulsions ou à des reconduites à la frontière durent en moyenne 13 mois et sont déclenchées à la faveur d’une interpellation pour des infractions mineures telles que des infractions routières.

Les défenseurs des droits de ces étrangers considèrent qu’ils ont le droit d’être libérés sous caution le temps de voir leur affaire être jugée. Mais la Cour suprême a décidé par 5 voix contre 3 que « les fonctionnaires des services de l’immigration sont autorisés à détenir certains étrangers dans le cadre de procédures d’immigration pendant qu’ils déterminent si ces étrangers peuvent être légalement présents dans le pays ».

L’opinion majoritaire a été rédigée par le juge Samuel Alito et rejointe par les juges conservateurs de la cour. (La juge Elena Kagan n’a pas participé au vote : elle s’est récusée en raison des opinions qu’elle avait produites sur ces questions lorsqu’elle servait auprès de l’administration Obama.)

La Cour suprême casse donc un arrêt de la cour d’appel fédérale du neuvième circuit, mais la messe n’est pas dite car la Cour suprême a renvoyé l’affaire devant la juridiction inférieure avec deux questions non résolues. Premièrement, la détention à durée indéterminée sans possibilité de libération sous caution est-elle inconstitutionnelle ? Deuxièmement, la contestation des détentions en question peut-elle être invoquée au moyen d’une action de groupe ?

La deuxième question a une très grande importance pratique car les défenseurs de ces étrangers font valoir que « s’ils sont tenus de procéder individuellement, beaucoup d’entre eux ne seront jamais en mesure de poursuivre leurs revendications. Un recours collectif offre une protection à tout le monde, pas seulement à ceux qui ont un avocat qui peut intenter un procès ».

Le juge Stephen G. Breyer a commis une opinion dissidente qu’il s’est obligé à lire (ce qui est rare et participe de sa volonté de marquer la profondeur de son désaccord avec l’opinion majoritaire). « Il suffit de rappeler les mots de la déclaration d’indépendance, a-t-il déclaré, en particulier son insistance sur le fait que tous les hommes et les femmes ont "certains droits inaliénables", et parmi eux le droit à la" liberté ». Le « droit à la liberté » étant l’une des composantes matérielles (par opposition aux composantes procédurales) du Due Process of Law , le juge Breyer contestait donc le fait pour la majorité de la Cour suprême d’avoir décidé d’une manière qui revenait à ses yeux à priver les étrangers détenus ès qualité d’étrangers de ce droit constitutionnel.

PM
28 février 2018

Habeas corpus - Due Process of Law - Immigration Law.

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