Virginie. Le scandale du blackface du gouverneur Ralph Northam.
Le gouverneur démocrate de la Virginie, Ralph Northam, 59 ans, a admis ce 1er février 2019 avoir posé dans une photo de 1984 de sa faculté de médecine publiée par The Virginian-Pilot montrant deux personnes vêtues de noir et portant une tenue vestimentaire du Ku Klux Klan, une photo qui a suscité l’indignation des élus et des organisations de tous horizons politiques.
Cela va faire bientôt 200 ans que des artistes blancs ont commencé de peindre leur visage en noir pour se moquer des esclaves noirs dans des spectacles de ménestrel aux États-Unis. C’était raciste et offensant à l’époque et l’est encore de nos jours.
La dernière controverse à propos du blackface est une photo du gouverneur de Virginie, Ralph Northam, figurant dans l’annuaire de son école de médecine. Il représente une personne en blackface et une autre habillée en membre du Ku Klux Klan. Après s’être initialement excusé pour sa présence sur la photo, le gouverneur démocrate a déclaré qu’il n’était ni la personne au visage noir, ni la personne habillée en klansman.
Quoi qu’il en soit de Northam, il est important que chaque Américain comprenne ce qu’est le blackface et pourquoi il est si offensant. Lire la suite
"Le minstrel show est vraiment le premier théâtre véritablement américain", déclare l’historien Gregg Kimball. Kimball souligne que ces spectacles étaient un divertissement populaire. Et surtout dans les villes du nord et du Midwest, pas dans le Sud. "J’ai grandi dans une petite ville du New Hampshire. Quand j’ai nettoyé la maison de ma grande tante, il y avait un programme de minstrel. Notre ville ne comptait aucun Noir. Cela ne ressemblait donc pas à un truc du Sud. C’était un truc américain", dit-il. C’était une forme de théâtre américain qui utilisait des stéréotypes grossiers sur les Noirs : "Ils sont paresseux, ils sont peu intelligents, ils sont enclins au vol, sont des escrocs", rapporte Dwandalyn Reece, conservatrice en musique et en arts de la scène au Musée national d’histoire et de culture afro-américaines à Washington, DC. Lire la suite
Le blackface est un rire en surplomb. Paternaliste lorsqu’il s’agit d’une imitation raciale empathique (sur ce concept, voir nos développements dans Blancs mais Noirs...). Stigmatisant lorsqu’il s’agit d’un rire moqueur.
Le footballeur Antoine Griezman, grimé en Noir. À ceux qui s’en sont émus, il a répondu initialement « Calmos ! J’aime les Harlem Globe Trotters ». Il a tout de même supprimé son tweet. Politiquement correct, ont réagi en commun, d’une part les racistes, d’autre part les antiracistes « moraux ». Dans le second groupe, on compte notamment Raphaël Enthoven qui a twitté : « à voir et revoir, l’excellent "Soul Man" de Steve Miner (1986). Avec le bon souvenir de l’époque où se peindre le visage en noir était perçu (à juste titre) comme une façon drôle de combattre l’intolérance. #Griezmann » Raphaël Enthoven avait proprement tout faux sur Soul Man (sur ce film, voir nos développements dans Blancs mais Noirs...)
Le refus par beaucoup de non-racistes auto-désignés de l’admettre est l’un des phénomènes caractéristiques du « racisme sans racistes ».
Le blackface est né et s’est pratiqué dans toutes les sociétés européennes (au sens large, Amérique du Nord comprise donc) comme rire moqueur de l’étrangeté. De l’anormalité. Les premiers cas dans lesquels il relève de l’imitation raciale empathique, comme dans le cas du footballeur Antoine Griezman, sont relativement récents. Voilà pourquoi dans toutes les sociétés européennes les plus libérales en matière d’altérité raciale (Etats-Unis, Canada, France, Allemagne, Belgique, Luxembourg, Suisse, Royaume-Uni, Pays-Bas, pays nordiques...), le blackface est en voie accélérée de disparition. Aux Etats-Unis, il n’y a que les racistes pour le revendiquer sur internet. C’est que ces sociétés européennes articulent leur "antiracisme" à la connaissance en sciences sociales et humaines. Les choses sont très différentes dans d’autres pays d’Europe de l’Ouest (voir ICI le cas de d’Alcoy en Espagne), en Europe de l’Est, en Asie, au moyen-Orient, où le blackface de mépris racial reste un exercice comique usuel.
Même le blackface d’imitation raciale empathique pose problème pour deux raisons :
1. C’est, au minimum, du paternalisme racial, puisque les Noirs eux ne font pas de whiteface. Ou ne le « réussissent » guère, comme ci-après avec Snoop Dogg. Il est encore à noter que certains, telle la journaliste Natacha Polony, n’ont pas compris pourquoi le fait qu’il s’agisse d’une imitation empathique n’était pas absolutoire : ils ne se sont pas demandés qui était donc le joueur des Harlem Globetrotters qu’Antoine Griezman est supposé avoir imité et si ce joueur était reconnaissable à travers son imitation. Pour mémoire : les Harlem Globetrotters ne sont jamais connus qu’en tant que joueurs de basket dont les talents ne sont pas moins différenciés que ceux des basketteurs de la NBA ou du championnat universitaire. Par hypothèse, une imitation réussie des deux grands « ennemis » que furent Charles Barkley et Michael Jordan doit permettre de les différencier chacun, puisqu’ils sont tous deux Noirs.
2. de toutes les manières, le blackface est né et a prospéré comme dispositif de moquerie raciale des Noirs et il continue d’avoir cette fonction dans la majorité de ses usages à travers le monde.