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Harvard et l’esclavage. Rapport

Esclavagisme. Faut-il (toujours) célébrer le juge John Marshall ?

Le 20 mai 2021, le Conseil d’administration de l’University of Illinois at Chicago (UIC) a adopté une délibération portant changement du nom de sa faculté de droit. À compter du 1er juillet 2021, cette Law School ne s’appellera plus la John Marshall Law School (« Faculté de droit John Marshall ») mais l’University of Illinois Chicago School of Law (« Faculté de droit de l’Université de l’Illinois »).

I.

Cette décision, précisait cette université (publique, à la différence de l’University of Chicago), est le terme d’un processus de plusieurs mois qui lui a fait réunir toutes les approbations et tous accords les nécessaires, notamment ceux des sociétaires de la Law School, des fondations et des fonds de dotation qui ont possédé, exploité et pourvu au financement de cette faculté de droit créée en 1899 avant son rattachement à l’UIC en 2019. L’UIC a débaptisé sa Law School parce « malgré l’héritage de John Marshall comme l’un des plus importants juges de la Cour suprême des États-Unis », de nouveaux travaux de recherche ont mis en évidence « son rôle en tant que marchand d’esclaves, propriétaire de centaines d’esclaves, promoteur d’une jurisprudence esclavagiste et d’opinions racistes ».

« L’esclavage ne concerne pas seulement l’achat et la vente d’esclaves, mais le viol des femmes, le meurtre de bébés et les innombrables années de subordination raciale qui ont suivi l’esclavage, a expliqué publiquement Samuel V. Jones, vice-doyen de la Law School de l’UIC et directeur du groupe de travail de la faculté de droit sur le sujet. Certains de nos étudiants ont pensé qu’il était inconcevable que quelqu’un puisse excuser les horreurs de l’esclavage ou adorer un homme qui s’est si activement engagé dans ces horreurs pendant la majeure partie de sa vie adulte ». La biographie renouvelée de John Marshall est encore plus contrariante pour les étudiants Afro-américains. « Comment demander à un élève de porter le nom de Marshall sur un sweat-shirt ou un chapeau ou d’utiliser une tasse de café avec son nom, avec fierté ? », a demandé Samuel V. Jones. L’UIC reconnaît avoir été plus aise pour prendre sa décision dès lors que sa faculté de droit ne devait rien à John Marshall ou à ses héritiers.

L’UIC a créé un précédent, vis-à-vis duquel les dépositaires de nombreux symboles à la gloire de l’ancien président de la Cour suprême vont devoir se situer à leur tour. Cela va de la ville de Washington dont le parc John Marshall abrite une sculpture de l’intéressé jusqu’à une vingtaine d’établissements scolaires secondaires ou universitaires portant son nom. Le Cleveland-Marshall College of Law et l’Atlanta’s John Marshall Law School ont d’ores et déjà initié un processus imitant l’UCI.

Si l’on fait abstraction du cas de John Marshall, ces démarches ne sont pas inédites. Elles sont de même nature que les décisions d’invisibilisation de symboles confédérés ou racistes prises à travers les États-Unis depuis plusieurs années et qui consistent aussi bien en des débaptisations de bâtiments, de lieux et de rues, qu’en des démantèlements de statues ou en l’adoption par certains États de nouveaux drapeaux (voir nos développements dans E Pluribus Unum. Du creuset américain, 2016). Et ces reconsidérations n’épargnent pas des institutions universitaires. En 2017, l’University of San Francisco, établissement privé et catholique, débaptisa l’une de ses dépendances du nom de James D. Phelan, ancien maire de la ville et ancien sénateur des États-Unis, dont la campagne électorale de 1920 avait pour slogan Keep California White. En 2020, l’Université de Princeton finit par débaptiser sa faculté en Affaires internationales du nom Woodrow Wilson, compte tenu des faveurs du 28e président des Etats-Unis pour la ségrégation raciale (Ibid.).

Les Noirs et les Indiens ne sont pas le seul groupe historiquement discriminé dont la considération de la dignité peut justifier ce genre de décisions. Le 30 janvier 2020, au terme d’un processus comparable à celui de l’UIC, l’UC Berkeley débaptisa une dépendance de sa Law School qui devait son nom à John Henry Boalt, un avocat d’Oakland. Le Boalt Memorial Hall of Law avait vu naître en 1911 la faculté de droit de Berkeley. Lorsqu’en 1951 la faculté de droit fut installée dans des bâtiments plus grands, elle devint l’UC Berkeley School of Law, mais son principal bâtiment fut baptisé Boalt Hall. Mais beaucoup ne continuaient pas moins d’appeler ainsi l’ensemble immobilier de la faculté de droit, la Law School elle-même dont les diplômés étaient affublés du titre de « Boalties ».

C’est cette référence qui prit fin en 2020 après que Charles Reichmann, un avocat et chargé d’enseignement à l’UC Berkeley School of Law, découvrit en 2017 dans une des bibliothèques de l’université que John Henry Boalt était l’auteur de nombre de textes et de déclarations racistes, spécialement contre des Chinois à la fin du XIXe siècle (sur le mouvement « The Chinese must Go ! », voir nos développements dans E Pluribus Unum. Du creuset américain, 2016).

« En 1877, expliquait Charles Reichmann, [John] Boalt prononça un discours influent, « La question chinoise », au Berkeley Club. Il a fait valoir que jamais auparavant dans l’histoire deux races non assimilables n’ont vécu en harmonie à moins que l’une n’ait asservi l’autre. Que les Chinois ne puissent jamais s’assimiler était une évidence pour Boalt : les Américains regardent le Chinois avec « une répulsion invincible qui me semble devoir à jamais empêcher toute association intime ou métissage des races ». Boalt invoqua la criminalité présumée, les différences intellectuelles, la cruauté et l’inhumanité des Chinois, et songea qu’il vaudrait mieux « exterminer » une race fortement dissemblable que de l’assimiler ».

Le racisme de John H. Boalt n’épargnait d’ailleurs pas davantage les Noirs et les Indiens (Charles P. Reichmann, « Anti-Chinese Racism at Berkeley : The Case for Renaming Boalt Hall », Asian American Law Journal - Berkeley Law, vol 25, 2018).

L’UC Berkeley a été doublement « aidée » dans sa décision. D’une part, John Henry Boalt n’avait pas été sociétaire de cette université, ni n’avait contribué à son existence. D’autre part, s’il est vrai que c’est sa veuve qui avait décaissé 100.000 dollars en vue de la construction du Boalt Memorial Hall of Law, il n’en était pratiquement rien resté après le tremblement de terre de 1906. Autrement dit, il est plus aisé de se défaire d’une référence symbolique controversée lorsqu’elle a été adoptée pour des raisons honorifiques et non pour des raisons philanthropiques.

II.

« Il n’est pas d’acte de ma vie auquel je réfléchisse avec plus de plaisir qu’à la nomination de John Marshall comme Juge-président de la Cour suprême des États-Unis. J’ai donné à mon pays un juge égal à un Hale, un Holt ou un Mansfield ».

Le mot de John Adams (Niles’s Weekly Register, vol. 39, Baltimore, 1830, p. 12) dit d’abord, en creux, que le président des États-Unis avait tenu bon en 1801 contre ceux qui, dans son propre camp, avait voulu le voir préférer un juge du New Jersey, William Paterson.

Né en Virginie en 1755, cousin éloigné de Thomas Jefferson, soldat puis officier pendant la guerre d’Indépendance, « Maître du barreau de Virginie », John Marshall avait néanmoins des états de service judiciaires et « fédéralistes » qui permirent sa confirmation à la Cour suprême par le Congrès. Il avait été parmi les membres de l’Assemblée de Virginie qui pesèrent de tout leur poids en faveur d’une ratification de la Constitution dont l’acceptation par la Virginie était vitale (son exégèse devant l’Assemblée de Virginie des dispositions judiciaires du texte adopté à Philadelphie vaut le détour). John Marshall avait été co-chargé par John Adams d’une mission diplomatique en France dans le cadre de la Quasi-Guerre avec les États-Unis, résistant aux tentatives de corruption de Talleyrand restées à l’histoire sous la dénomination de l’« affaire XYZ ». Éphémère membre de la Chambre des représentants (1799-1800), John Marshall ne fut ensuite que très brièvement (1800-1801) Secrétaire d’État.

La statue de John Marshall devant le Capitole. Entre 1909 et 1919. Library of Congress. Tous droits réservés

Lorsque John Adams fit l’éloge précité de John Marshall, il savait que l’œuvre judiciaire, et donc politique, du président de la Cour suprême était déjà fixée, sa pièce la plus mémorable étant ce pourquoi la célébrité de John Marshall a dépassé les frontières américaines et est internationalement canonique dans le constitutionnalisme : sa détermination de la Cour suprême à juger, dans le célèbre arrêt Marbury v. Madison de 1803, que la Haute juridiction a la compétence et le pouvoir de contrôler la conformité à la Constitution des États-Unis des lois votées par le Congrès fédéral. La Constitution ne l’avait pas « stipulé » mais John Marshall assura qu’elle l’« impliquait » puisque : sinon, il n’y aurait pas d’intérêt spécifique à ce que la Constitution fût écrite ; sinon, la séparation des pouvoirs qu’elle avait édictée resterait théorique si l’une des deux autres « branches du gouvernement fédéral » pouvait impunément s’arroger les compétences et les pouvoirs de l’autre ; sinon, les droits garantis par la Constitution et la Déclaration des droits (1791) seraient impunément violés par le Congrès.

En suggérant un siècle plus tard que, somme toute, même sans Marbury v. Madison, la Constitution des États-Unis aurait pu être ce qu’elle est devenue, Oliver Wendell Holmes, l’autre grand nom de la Cour suprême, élargissait en réalité la focale sur la grandeur de John Marshall : il a fait épouser à la Cour suprême des idéaux unionistes, ou « nationalistes » comme on disait alors, qu’Abraham Lincoln parachèvera. Aussi, les statisticiens de la Cour suprême ont-ils pu noter que cinq des dix des arrêts de la Cour les plus cités par elle-même sont ceux rendus suivant « l’opinion » du juge Marshall. C’est de ce juge héraut de la « suprématie nationale » et de l’« union indéfectible de la nation » dont Nicholas Murray Butler, philosophe, diplomate, homme politique et ancien président de la Columbia University a résumé l’œuvre en 1925 :

« Au cours d’une carrière de trente-quatre ans, Marshall démontra au monde entier que la Cour suprême des États-Unis était non seulement un tribunal au sens ordinaire du mot, mais aussi un organisme du gouvernement, établi par le peuple pour se protéger contre les autres organismes du gouvernement. Pour que l’Union fédérale pût être maintenue et prospérer, il fallait reconnaître à la Cour suprême des États-Unis les pleins pouvoirs stipulés et impliqués par la Constitution, et en cas de controverse, interpréter la Constitution dans le sens des doctrines nationalistes. Marshall amena bientôt la Cour suprême à poser le principe de la complète autorité du gouvernement national dans sa propre sphère, y compris le droit de protéger son autorité et de faire appliquer ses lois chaque fois qu’elles pourraient être mises au défi. Il accepta et répéta le principe posé par Hamilton, que les moyens employés pour exercer tout pouvoir conféré par la Constitution devaient être adaptés aux fins que l’on se proposait, et pouvaient comprendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le plein exercice de l’autorité accordée par la Constitution. Il était nécessairement établi que la Cour suprême pouvait décider du caractère constitutionnel de toute loi votée par une législature d’État, et qu’elle devait juger en dernier ressort de la validité d’un traité. La Cour suprême déclara être du ressort du Congrès la création de gouvernements territoriaux, l’entière direction du commerce entre États, la fondation de banques et diverses autres mesures dont le Congrès, afin d’augmenter le bien-être national, avait entrepris la réalisation par les moyens et dans les limites que stipulait la Constitution. Il est difficile d’imaginer les États-Unis d’aujourd’hui sans l’ensemble des lois exposées et formulées par John Marshall. C’est lui rendre hommage que de constater qu’on a apporté si peu de modifications à ses doctrines quand, l’orientation politique du pays ayant changé, il fut remplacé dans ses fonctions par le juge Taney, qui était lui-même un juriste fort savant et un grand caractère ».

III.

La biographie de John Marshall n’est plus seulement celle du « plus grand juge » de l’histoire américaine, depuis la parution en 2018 du Supreme Injustice : Slavery in the Nation’s Higher Court du juriste et historien du droit Paul Finkelman.

C’est ce travail consacré aux trois plus importants juges de la Cour suprême entre l’adoption de la Constitution et la guerre de Sécession (John Marshall, Joseph Story, Roger Brooke Taney) qui fonde les demandes de débaptisation de lieux et d’institutions portant le nom du célèbre président de la Cour suprême.

« L’esclavage, écrit Paul Finkelman, est tout simplement invisible pour la plupart des biographes de Marshall, même s’il possédait personnellement des centaines d’esclaves, que la Cour suprême, sous sa présidence, a statué sur plus de cinquante affaires impliquant l’esclavage, et que Marshall a écrit de nombreux arrêts [de la Cour] sur l’esclavage. Mais l’esclavage ne s’accorde pas avec le récit révérencieux (filiopietistic) sur le « Grand Président de la Cour suprême », et ainsi, à l’exception du professeur R. Kent Newmyer, les biographes n’en font tout au plus qu’une brève mention ». Le rapport à l’esclavage du juge Marshall a ainsi été régulièrement relativisé par des affirmations du style : il était le « propriétaire d’un nombre modeste d’esclaves », il « entretenait une petite exploitation d’esclaves », il « avait vécu l’esclavage principalement en tant que propriétaire d’esclaves urbains ». Et, le nombre d’esclaves qui lui était imputé ne dépassait jamais une douzaine de « serviteurs de maison » à Richmond.

Paul Finkelman a livré une enquête serrée dans les archives familiales de John Marshall et les archives du recensement en Virginie, pour conclure que le président de la Cour suprême possédait plutôt des centaines d’esclaves. « Il possédait des plantations et en tirait manifestement profit. En 1830, cinq ans avant sa mort, il possédait environ 150 esclaves. S’il n’avait pas donné un nombre substantiel d’esclaves à ses fils [dans les années 1820], Marshall aurait possédé plus de 250 esclaves. Contrairement à son cousin éloigné Thomas Jefferson, Marshall n’a pas hérité de ces esclaves ; au contraire, il les a achetés toute sa vie. De plus, tout au long de sa carrière publique, Marshall s’est publiquement et en privé opposé à la présence de Noirs libres en Amérique. Il a demandé à la législature de Virginie de financer leur retrait de l’État ».

« Accumulateur agressif » d’esclaves, John Marshall en a acheté et vendu toute sa vie, sans égards des séparations familiales que cela impliquait. Par exemple, en 1787, écrit Paul Finkelman, John Marshall a enregistré l’achat d’une femme et de son enfant sans préciser si l’achat l’a forcée à quitter son mari et peut-être d’autres enfants. « Et à sa mort, il n’a pas affranchi la douzaine d’esclaves personnels qui l’avaient loyalement servi tout au long de sa vie, encore moins aucun de ceux qui travaillaient dans ses plantations ». Paul Finkelman a mis la main sur une volonté testamentaire exprimée par John Marshall en 1832, soit son « souhait d’émanciper [son] fidèle serviteur », Robin Spurlock, que son père lui avait offert comme cadeau de mariage en 1783. Il ne possédait pas moins Agnes, la fille de Robin Spurlock, qui n’était pas, pour sa part, désignée par cette clause testamentaire.

« Certains chercheurs, fait remarquer Paul Fnkelman, pourraient voir dans cette offre de liberté une indication de l’humanitarisme de Marshall, mais émanciper un esclave parmi tant d’autres n’en est pas une preuve convaincante. Même Thomas Jefferson a émancipé plus d’esclaves que cela, bien qu’ils soient tous membres de la famille Hemings et donc apparentés à lui. Robin Spurlock ne gagnerait en fait jamais sa liberté. Le codicille lui a promis cinquante dollars s’il acceptait la liberté aux États-Unis et cent dollars s’il s’installait au Libéria. Comme Marshall le savait bien, la loi de Virginie exigeait que les esclaves affranchis quittent l’État ou « demandent » à un tribunal local « l’autorisation de résider dans ce comté ou cette société ». Pour rester en Virginie en tant qu’homme libre, Spurlock avait besoin de l’intervention d’un mécène blanc, possiblement un avocat. Les options pour Spurlock, qui avait plus de soixante-dix ans à l’époque, n’étaient guère attrayantes. Sans l’aide d’un avocat, que Marshall n’a pas fournie, il ne pouvait être libre qu’en abandonnant sa famille et ses amis pour vivre dans un autre État ou en Afrique. Le codicille testamentaire permet encore à Spurlock de choisir un propriétaire parmi les enfants de Marshall. Sans surprise, Spurlock a choisi de rester à Richmond, détenu en fiducie pour la fille de Marshall, Mary Harvie. Marshall, le riche avocat et planteur, aurait pu facilement s’assurer de ce que son vieux « fidèle serviteur Robin » restait à Richmond, vivant parmi ses amis et sa famille, avec suffisamment d’argent pour passer ses dernières années en tant qu’homme libre. Mais Marshall n’a pris aucune mesure pour le libérer de son vivant et n’a pas ordonné à ses exécuteurs testamentaires d’engager un avocat pour saisir le tribunal en son nom. Ce codicille, qui n’a abouti à rien, en dit long sur son point de vue sur la race et son soutien de longue date à l’esclavage ».

En 1833, lorsque son fils alcoolique, John Marshall, Jr., décède, le président de la Cour suprême prend la mesure des dettes laissées à sa belle-fille et à ses petits-enfants. Concevant de les payer, il aurait pu le faire grâce aux nombreuses actions et aux immenses terres qu’il possédait en Virginie, voire aux intérêts sur l’argent qu’il avait prêté. « Au lieu de régler la succession de John avec ces actifs, écrit Paul Finkelman, il a ordonné à son fils James Keith de vendre les esclaves du Mont Blanc pour payer les dettes. Marshall voulait protéger sa belle-fille, ses petits-enfants et éviter que sa famille ne soit jetée dans l’embarras, dans la pauvreté, par les créanciers. Marshall a atteint l’objectif admirable de protéger sa propre famille en augmentant la misère des esclaves qui avaient travaillé pendant des années pour subvenir aux besoins de sa famille. La vente aux enchères détruirait inévitablement les familles d’esclaves, séparant maris, femmes, enfants et frères et sœurs. Les actions de Marshall contrastent avec son héros, George Washington, qui refusait de vendre des esclaves « comme on ferait [avec] du bétail sur un marché ». Marshall, le premier grand biographe de Washington, n’a pas appris grand-chose de la façon dont un véritable héros de la République – fût-ce une république de propriétaires d’esclaves – devrait traiter les gens, y compris les esclaves ».

L’Amérique comme république de propriétaires d’esclaves. Telle était la structure mentale de John Marshall à la fin de sa vie – il est mort à 80 ans le 6 juillet 1835 – comme pendant la convention constitutionnelle de la Virginie au cours de laquelle il avait milité en faveur de la prise en compte du nombre d’esclaves détenus en vue de l’éligibilité à la législature de l’État, ce « afin de préserver le pouvoir de l’aristocratie des planteurs ».

Telle ne fut pas moins la structure mentale du Juge en chef de la Cour suprême, sans il est vrai le racisme délirant et scripturaire de son successeur, le juge Roger B. Taney. Dans Johnson’s & Graham’s Lessee v. M’Intosh (1823), le juge Marshall avait néanmoins laissé parler ses affects au sujet des Indiens, les qualifiant de « sauvages féroces, dont l’occupation était la guerre ». Dans une autre affaire soumise à la Cour, il explicita tout le mal qu’il pensait des Noirs libres (par la naissance, l’affranchissement ou la fuite) en les qualifiant de « pestes ». Il valait mieux que les Noirs libres fussent envoyés en Afrique, au Libéria, comme le soutenait l’American Colonization Society (ACS), une organisation pro-esclavagiste fondée en 1816 et dont il fut membre toute sa vie. Les Noirs libres étaient perçus comme une menace pour l’esclavage, y compris à travers la croyance que leur simple présence était incitative de rébellions d’esclaves.

Telfair v. Stead’s Executors (1805) – Scott v. Negro London (1806) – Hudgins v. Wrights (1806) – Scott v. Negro Ben (1810) – Hezekiah Wood v. John Davis and Others (1812) – « Mima Queen and Child v. Hepburn (1813) – Le Grand v. Darnall (1829) – LaGrange v. Chouteau (1830) – Menard v. Aspasia (1831)… Paul Finkelman a épluché chacun des cinquante arrêts rendus par la Cour suprême à propos de l’esclavage sous la présidence de John Marshall : cette institution n’y est jamais un problème, ce qui l’est en revanche, ce sont les Noirs libres. L’accord fut toujours parfait entre le juge et le grand propriétaire d’esclaves. Cette consonance cognitive demandait simplement au premier, comme le montre encore Paul Finkelman, de mobiliser des lectures formalistes ou fonctionnalistes du « droit de l’esclavage ».

Pascal Mbongo
22 juin 2021

Esclavagisme. Faut-il toujours célébrer le juge John Marshall by Pascal Mbongo on Scribd

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