La victoire de Donald Trump en 2024 à Dearborn, Michigan, marque un événement inattendu dans le paysage politique américain. La ville, longtemps considérée comme un bastion démocrate et un centre important de la communauté arabe-américaine, a donné son soutien à Trump contre la vice-présidente Kamala Harris, rompant ainsi une série de défaites républicaines dans cette ville à majorité arabe. Ce retournement, qui a vu Trump recueillir près de 18 000 voix contre 15 000 pour Harris, représente un changement spectaculaire par rapport aux élections précédentes, où les Démocrates avaient dominé, en particulier lors de la victoire de Joe Biden en 2020 avec un écart de 3 contre 1.
Dearborn, avec ses 110 000 habitants, dont près de la moitié sont d’origine arabe, a été un fief démocrate pendant des décennies. L’alignement politique de la ville était largement en faveur des candidats du Parti Démocrate, avec une forte population arabe-américaine qui se sentait généralement plus proche des valeurs de justice sociale, d’égalité des droits et de soutien aux communautés immigrées. Cependant, la situation a radicalement changé en 2024. Ce renversement de tendance à Dearborn n’est pas survenu par hasard, mais est le résultat d’une série d’événements et de frustrations politiques au sein de la communauté arabe-américaine.
Le facteur déclencheur principal a été la gestion de l’administration Biden-Harris du conflit Israël-Hamas. Après l’attaque du Hamas contre Israël en octobre 2023, l’administration Biden a réaffirmé son soutien indéfectible à Israël, une position qui a été perçue par de nombreux Arabes-Américains, et notamment ceux de Dearborn, comme une négligence des souffrances palestiniennes. Bien que la vice-présidente Kamala Harris ait essayé de nuancer son discours, notamment en appelant à une protection des civils, elle n’a pas proposé de changement significatif de politique à l’égard du conflit. Les critiques sont venues non seulement de la communauté palestinienne, mais aussi de plus en plus de voix parmi ceux qui s’opposaient à la manière dont le gouvernement américain gérait le conflit à Gaza.
L’événement qui a exacerbé cette situation a été la décision de la Convention nationale démocrate de 2024 de ne pas permettre la participation d’orateurs pro-palestiniens, ce qui a été perçu comme un acte d’exclusion par de nombreux membres de la communauté arabe-américaine. Ce rejet symbolique a marqué un tournant, incitant certains électeurs à chercher d’autres options politiques. Pour beaucoup, le soutien inconditionnel à Israël est devenu un point de rupture. Ils ont perçu l’administration Biden comme trop éloignée de leurs préoccupations, ce qui a renforcé la polarisation.
Face à cette déception vis-à-vis des Démocrates, certains électeurs arabes-américains ont décidé de tourner leur regard vers Donald Trump. Bien que son premier mandat ait été marqué par des politiques controversées, notamment l’interdiction de voyage visant des pays à majorité musulmane, certains dans la communauté ont estimé que Trump, malgré ses positions de droite, pourrait être un moindre mal par rapport à Kamala Harris.
L’un des facteurs décisifs dans ce renversement a été la campagne active de Trump pour engager la communauté arabe-américaine. Au contraire de Harris, qui n’a pas fait campagne activement dans la ville de Dearborn, Trump a fait un effort significatif pour rencontrer les électeurs de la région. Quelques jours avant les élections, il a visité un restaurant libanais à Dearborn, où il a discuté avec des membres de la communauté arabe. Ces interactions ont été vues par certains comme un signe de respect, contrastant avec l’absence de présence physique et de communication plus directe de Harris. Pour des électeurs comme Samia Hamid, résidente de Dearborn, le simple fait que Trump ait pris la peine de venir à Dearborn et de discuter avec les habitants a eu un impact majeur. « Il est venu à Dearborn, il a parlé aux résidents. Que certains disent que ce n’était pas sincère, il a quand même fait l’effort », a-t-elle déclaré à Associated Press, soulignant ainsi l’importance de l’engagement direct.
Trump a également mis en avant son engagement à trouver une solution pour mettre fin à la violence au Moyen-Orient, ce qui a trouvé un écho parmi ceux qui voyaient dans la politique de l’administration Biden une continuation d’une impasse. De plus, Trump a promis une gestion plus ferme du conflit israélo-palestinien, ce qui, paradoxalement, a rassuré certains Arabes-Américains désillusionnés par l’inaction de l’administration démocrate.
Le dernier mois de campagne a été crucial dans ce retournement à Dearborn. La frustration envers Harris a atteint son apogée lorsque Bill Clinton a tenu des propos controversés sur le Hamas, les qualifiant de « désireux de tuer des Israéliens ». Cette déclaration a exacerbé les tensions et renforcé la perception que les Démocrates étaient déconnectés des préoccupations de la communauté arabe. Même si la campagne de Harris a tenté de minimiser les effets de cette déclaration, elle n’a pas réussi à regagner la confiance de nombreux électeurs.
Bien que Trump ait gagné Dearborn en 2024, le soutien de la communauté arabe-américaine à son égard reste mitigé. Pour beaucoup, ce soutien est davantage une réaction de désillusion envers l’administration Biden qu’une adhésion pleine et entière aux politiques de Trump. Certains électeurs, comme Osama Siblani, le rédacteur en chef de l’Arab American News à Dearborn cité par Associated Press, ont averti que la communauté tiendra Trump responsable de ses promesses, notamment celle de mettre fin aux conflits au Moyen-Orient.
Ce changement dans le paysage politique de Dearborn souligne cependant un tournant dans la manière dont les électeurs arabes-américains se positionnent politiquement. Leur désillusion envers les Démocrates, exacerbée par les événements au Moyen-Orient, a conduit à une situation où Trump, un ancien président qui avait pourtant mis en place des politiques discriminatoires, est devenu une option viable pour ceux qui se sentaient ignorés et non représentés.